Robert de la Rochefoucauld
Hommage au Comte Robert de LA ROCHEFOUCAULD, grand-père de nos enfants.
Pendant des décennies, Robert de LA ROCHEFOUCAULD n'a jamais évoqué " sa " guerre : il est resté très discret sur ses faits d'armes et n'en parlait qu'à une poignée d'amis triés sur le volet dont feu Albert de SCHONEN, un de ses valeureux beaux-frères.
Pendant des décennies, cet homme courageux et apparemment discret ne voulait pas imposer aux autres ce qu'il avait fait pour contribuer à libérer son pays.
Pendant des décennies, cet homme a vécu parfois dans ses souvenirs : entre ses héros et connaissances que furent le Général de GAULLE et le Maréchal LECLERC de HAUTECLOCQUE.
Pendant des décennies, il a transmis à sa famille l'amour de la Patrie sans verser dans un nationalisme digne de Péguy ou de gens moins fréquentables.
Pendant des décennies, il a suivi l'actualité politique de notre pays avec intérêt et pertinence en conservant bien entendu la nostalgie de l'époque où le Général était aux affaires.
Pendant des décennies, il a montré sa compréhension des autres lorsqu'il fut un des vice-Présidents du Jockey-Club où le nom de LA ROCHEFOUCAULD imprègne les lieux.
Pendant des décennies, il a souhaité la réconciliation totale et irréversible avec l'Allemagne. Là où François Mauriac a écrit : " J'aime tellement l'Allemagne que je préfère qu'il y en ait deux ", Robert de LA ROCHEFOUCAULD, anticommuniste farouche, s'est réjoui de la chute du mur en 1989 et de la réunification.
C'est donc de manière solennelle et symbolique que son rappel à Dieu a eu lieu le 8 Mai date-clef de cette deuxième guerre mondiale à laquelle il avait pris une place éminente dans les très sélectives forces spéciales britanniques : les S.O.E.
Sa famille et ses proches sont assommés par le chagrin car il était un vrai chef de famille même si beaucoup pensait que son épouse Bernadette décidait tout. La réalité était plus subtile au sein de ce couple uni et aimant.
Bien évidemment, il était un mari prévenant et la situation de son épouse l'a énormément miné ces dernières années. Quoi de pire que de voir une femme si brillante se mettre à devoir subir une intelligence chancelante ? Je peux attester, pour en avoir parlé avec lui, qu'il aura tout fait pour retarder certaines décisions délicates et qu'il aura montré une patience de chaque instant face à la dure réalité.
A l'heure où ces lignes sont écrites, sa tendre épouse ne percevra pas son départ et si d'un côté cela lui évite mécaniquement et médicalement le chagrin, j'estime que cela provoque un terrible déficit de tendresse pour toute la famille. Veuve, cette grande dame aurait soudé la famille et galvanisé les cœurs : elle aurait par son éternelle vigueur trouver les mots et les actes qui auraient permis que le chagrin soit contenu voire partiellement résorbé.
Bien évidemment, Robert de LA ROCHEFOUCAULD était, il y a quelques heures encore, un père. Il m'est difficile d'évoquer cet aspect de sa vie qui relève de l'intimité qu'il avait su construire avec chacun de ses enfants.
Une chose est avérée : c'était un père sur qui un enfant pouvait compter. Nous savons l'homme qu'il fut lorsque certains de ses enfants eurent des coups durs dans la vie. Tel un soldat vendéen avec le cœur pour emblème, il était aux côtés de sa descendance.
Pour prendre un peu de recul au sein de cet hommage respectueux et attristé, il est requis de parler de la chasse. Qu'elle soit à courre ou à tir, Robert de LA ROCHEFOUCAULD qui pouvait paraître dilettante révélait ses qualités de tenacité, de passion et de précision. Plus d'une fois, ses amis les Comtes Edouard de RIBES ou Alain de ROCHECHOUART ont eu l'occasion de le féliciter pour un fin coup de fusil.
Etant piètre tireur, il sut, lorsque je fus son gendre, me mettre en confiance et mes contributions à l'impressionnant tableau de chasse de Pont-Chevron furent moins modestes sans atteindre bien évidemment ceux des autres invités dont le Président GISCARD d'ESTAING.
Pour poursuivre ce parcours familial, Robert de LA ROCHEFOUCAULD était aussi un grand-père. Logique me direz-vous. Mais là encore son esprit facétieux allait plus vite que prévu et je suis formel sur un point, au nom de nos deux filles Eléonore et Diane, Robert de LA ROCHEFOUCAULD s'inscrivait dans un quadrilatère composé de sommets nommés : respect de l'autre, transmission des valeurs, tendresse et détente.
Ce quadrilatère a rendu nos filles heureuses et je suis donc son débiteur comme tout père qui ne cherche que le bonheur de ses enfants.
Il savait passer du temps avec les " grands " ( les jumeaux GAIGNAULT, etc ), il dédiait du temps avec les adolescents ( les enfants GUILLAUMIN et les nôtres ) et il savourait ses moments avec Margaux, fille de son fils Jean – le Comte de LA ROCHEFOUCAULD – à qui il échoit désormais de nombreuses responsabilités à commencer par celle d'être une sorte de chef de famille comme sa mère l'a toujours souhaité et dit publiquement.
S'il s'est éteint un 8 Mai, c'est bien qu'il y a symbole et continuité : il n'a écrit qu'un livre dans sa vie " La liberté, c'est mon plaisir " ( clin d'œil à la devise familiale : C'est mon plaisir ) et cet ouvrage traitait essentiellement de ses faits de Résistance. Il avait hésité à prendre la plume car " longtemps le poids des souvenirs m'a paru trop lourd " mais pressé par des amis et sa vaillante épouse, il avait franchi le Rubicon de l'écriture.
Un hommage, pour être sincère doit être le plus complet possible, ce qui pousse à parler d'un Rubicon que l'amitié lui a fait franchir. Ainsi, il avait commis cette erreur morale et juridique de prêter son passeport à Maurice PAPON ce qui avait permis au condamné de passer la frontière franco-suisse.
De ma vie, ce fut mon seul différend avec lui. Conception du droit primant sur l'amitié là où il me disait l'inverse. La mère de nos enfants était inquiète de ce tête à tête qui durait alors que ce fut une superbe conversation entre un honnête homme placé dans une situation délicate et un homme plus jeune qui n'était pas procureur mais cherchait seulement à comprendre.
De ma vie, ce fut mon seul différend et il fut un homme de grande bonté lorsque la vie décida que sa fille et moi ferions route disjointe.
A l'heure où des dizaines de LA ROCHEFOUCAULD sont les yeux embués voire plus, je pense à nos promenades dans ses sous-bois qui entourent Pont-Chevron.
Sa fille ignore que nous avions nos habitudes et cet hommage lui apprendra : de ces conversations à bâtons rompus, il est souvent sorti de l'apaisement car mon beau-père d'alors m'a fait comprendre quelque chose de simple à énoncer mais compliqué à vivre.
Il insistait toujours sur le fait que la vie comporte des beaux jours ( qu'il faut savourer sans retenue selon lui ) et des coups durs où il faut s'accrocher à ses valeurs et bomber le torse plutôt que courber l'échine.
Lorsque la maladie l'a importuné véritablement – depuis un an – il a su bomber le torse, taire ses souffrances et s'ancrer dans la dignité. Belle leçon de maintien au sens fort du terme.
Invité pour le déjeuner de Pâques il y a deux ans, nous avons eu un entretien privé dont nos filles connaitront, le moment venu, la teneur. Un entretien d'estime auquel je ne m'attendais pas et qui n'est pas gravé mais enregistré dans ma mémoire et retranscrit sur quelques feuillets. Il n' y fut question que de la vie et du rôle d'un père. Loin des problèmes subalternes.
Alors qu'Hortense venait me chercher pour que je puisse attraper mon train pour Paris, cet homme fatigué et d'un âge respectable a tenu à me raccompagner sur le perron de Pont-Chevron où se trouvaient ses enfants.
De ma vie, je n'avais jamais vu ces yeux portés un regard aussi dense : alors que la voiture cheminait sur les routes du Loiret, j'ai compris que nous venions de nous dire à bientôt sur le chemin de l'Espérance.
J'aurais du me douter qu'il avait la pleine mesure du sablier : la preuve ? Ce fut la seule fois de notre relation intense que nous nous sommes embrassés.
" Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ". LA ROCHEFOUCAULD ( Maximes ).
Là où ce chrétien et ce gentilhomme est désormais parvenu, il doit y avoir un soleil comme celui des Issambres qu'il aimait et fort de la maxime de son ancêtre, je pense à son regard et je sens que la mort baisse les yeux face au puits d'amour qui bombe le torse face à elle.
So long Bon-Papa, personne ne vous oubliera. Ni nos filles, ni moi. Ni bien d'autres.
Chacun aura compris et mesuré que cet hommage est la matérialisation des condoléances que je présente à la mère de nos enfants et à l'ensemble de sa famille.