L'incroyable dérive de 112 milliards de taxes affectées !
La France est supposée être un Etat de droit où la parole publique doit avoir un poids et un sens. Ainsi, nous sommes tous persuadés que la machine publique est en ligne avec la volonté présidentielle de réaliser des économies. Le cas des " taxes affectées " démontre cruellement l'inverse.
Les taxes affectées relèvent d'une pratique fiscale assez ancienne et dérogatoire : elles servent à assurer le fonctionnement matériel du foisonnement d'agences et organismes publics ( économies d'énergies et Ademe, le CNC : Centre national du cinéma, les Voies navigables de France, etc ). Le poids de ces taxes affectées étaient de 112 milliards d'euros en 2011 et est estimé à un peu plus de 120 milliards ( ndlr : milliards ) pour l'année 2013.
Autrement dit, obtenir des bénéficiaires de ces taxes un effort de 10% de leurs budgets respectifs permettrait de réduire la voilure de la dépense publique de près de 12 milliards. Chiffre à rapporter de la déclaration du Premier ministre qui a indiqué dimanche soir sur France 2 que 10 milliards d'économies allaient être réalisés pour l'ensemble du budget de l'Etat ( soit 1% de la masse totale ). Pour être précis, il faut ajouter que Monsieur Ayrault a pris le soin de préciser que c'était " du jamais vu ".
Ce qui est incroyable et regrettable, c'est le montant des dérives de la fiscalité affectée. Elle représente près de 13% du total des prélèvements obligatoires et plus de 5 % du PIB. Or, un rapport du CPO ( Conseil des prélèvements obligatoires présidé par le premier Président de la Cour des comptes ) publié le 4 Juillet dernier rapporte que tout cet ensemble de taxes a cru de 27,6% entre 2007 et 2011. La lecture attentive de ce document cité en lien est édifiante ( http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/La-fiscalite-affectee-constats-enjeux-et-reformes ) dans la mesure où l'on découvre qu'un effort total de 600 millions d'euros ( rapportés à 112 milliards ) sera demandé aux bénéficiaires de ces taxes. Si la matière n'était pas sérieuse et si les enjeux n'étaient pas d'importance, seul le rire serait au rendez-vous de la fraction infinitésimale de l'effort qui est requis de la part des ministres de tutelle.
En fait, chacun a compris que dans la plupart des cas, c'est un moyen pour débudgétiser les dépenses en créant des taxes qui irriguent un flot de dépenses aux évolutions contestables. Ainsi, à titre d'exemple, le CNC est alimenté par une taxe qui s'est accrue de 30% en 2011. Le total des 309 ( trois cent neuf ) taxes affectées à plus de 453 entités ont suivi une hausse de 4,5% par an à comparer au 1,2% par an du budget général de l'Etat stricto sensu. De même, alors que les effectifs de l'Etat ont baissé ( entre 2007 et 2012 ) de près de 6%, les effectifs des agences et autres ont augmenté de 10,4%.
A ce stade de cette contribution, le lecteur a compris le laisser-aller et le manquement global au regard de la discipline budgétaire que réclamait l'ancienne majorité. Mais il y a toujours plus instructif ( ou incroyable...) : la masse salariale entre 2008 et 2011 a décru de 2% pour l'Etat mais a augmenté de 17% pour les agences financées par taxe affectée et de 10% pour celles qui sont financées par des dotations budgétaires.
Là réside un défi démocratique et non pas seulement technique et financier.
Comme l'écrit le Conseil des prélèvements obligatoires ces taxes échappent pour leur quasi-totalité au contrôle du Parlement ce qui " porte non seulement atteinte au fondement de la démocratie parlementaire mais s'oppose également à la nécessité d'une gestion rigoureuse des deniers publics, particulièrement importante en période de crise budgétaire ". On ne peut être plus clair sauf à préciser la lettre de l'article 24 de la Constitution qui énonce en fin de premier alinéa que le Parlement " évalue les politiques publiques " car derrière ces sommes collectées par taxes affectées, il serait probablement doté de pertinence de retracer, en bon contrôle de gestion digne d'une PME, les modalités effectives des dépenses.
Strictement dans son rôle, le CPO préconise vivement de réintégrer certaines taxes ( pour un montant de 2,2 milliards d'euros....) et de plafonner 127 autres taxes. Puis de poursuivre une " stratégie de rebudgétisation ambitieuse " qui porterait sur un total d'environ 20 milliards et concernerait près de 50 taxes.
Comme le constat l'impose, si cette tâche est réalisée par l'actuelle équipe gouvernementale, il restera encore plus de 90 milliards et plus de 200 taxes en quasi-liberté de manœuvre et d'évolution.
Albert Camus a écrit dans " Le mythe de Sisyphe " : " C'est absurde veut dire : c'est impossible, mais aussi c'est contradictoire. " Dans le cas présent, nous sommes en pleine contradiction entre les objectifs des gouvernements Fillon et Ayrault et tout ceci est clairement absurde. Ce qui est incroyable c'est que cela ne soit pas impossible et que cela porte sur de tels montants qui vont laisser songeurs plus d'un citoyen, plus d'un contribuable et plus d'un directeur financier d'une structure étatique sous fonctionnement budgétaire normal.
A n'en pas douter, la réforme de la fiscalité affectée sera un des indicateurs de la vraie détermination des Pouvoirs publics dans leur lutte contre les excès de dépenses.