L'inexorable retour de l'inflation.
Les économies européennes sont peu ou prou toutes soumises à l'austérité qui est d'abord caractérisée par une aggravation de la pression fiscale et par des coupes budgétaires parfois impressionnantes. Ceci est vrai en zone latine ( Espagne, Italie ) mais aussi chez les Britanniques.
Cette austérité atteint le processus de croissance et dès lors, la théorie classique enseigne qu'une pression à la baisse devrait s'exercer sur le niveau général des prix.
Or, de nombreux foyers de hausses des prix apparaissent : ils posent par conséquent sérieusement question.
Dans un premier temps, nul ne saurait contester qu'un climat récessif et une pression fiscale accrue devraient mécaniquement peser à la baisse sur les prix. Or, bien des secteurs montrent à l'inverse une tendance très nette à la hausse des prix : produits alimentaires, produits transformés de première nécessité ( lessive, etc ), produits pétroliers et dérivés ( plastiques, etc ). Seuls semblent échapper à ces pressions inflationnistes les secteurs qui fournissent des produits d'investissement durable : automobile, produits numériques ( écrans plats, etc ).
L'inflation est donc sur le point de reprendre une nouvelle vigueur du fait du choc sur l'offre y compris de produits importés ( exemple des tensions géo-stratégiques sur le prix du pétrole ). Mais comme l'a finement observé Serge Christophe Kolm dans les années 80, nous allons être confrontés à une inflation dite de productivité qui se définit par le fait que les entrepreneurs des secteurs où la productivité est faible restaurent leurs marges par une hausse des prix qui est supposée absorber les hausses salariales. Or il n'est pas absurde de poser pour hypothèse que le nouveau Président de la République et son équipe vont être obligés de " donner du grain à moudre " ( André Bergeron, FO ) et de faire plus qu'un geste pour les salaires.
Parallèlement, les économistes de la régulation ont montré que bien des entrepreneurs ont un réflexe lié à la marge nette escomptée. Boyer et Mistral ont démontré l'existence de comportements de " mark-up " selon lesquels le prix est fixé par un coefficient de marge frontalement appliqué au prix de revient des produits fabriqués. En période où tout un chacun envisage une hausse des prélèvements obligatoires, il nous semble très réaliste de conclure que des anticipations rationnelles conduisent les entrepreneurs à alourdir leur mark-up pour être en bonne position sur leur future marge nette après pression fiscale alourdie.
A côté de cette approche micro-économique, on doit se référer à la position de Milton Friedmann qui a toujours considéré " que l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire ". Or pour qui songe au doublement depuis 2008 du total de bilan de la Banque Centrale Européenne ( qui atteint désormais plus de 3.000 milliards d'€uros ), il y a matière à réflexion d'autant que la pression sur la demande de liquidités est généralisée à tout le continent pour la majorité des agents économiques : ménages ( endettement, crédits à la consommation ), banques ( renforcement des fonds propres ), entreprises ( financements d'investissement ou au contraire besoins de crédits de campagne pour pallier un risque de crise de trésorerie ), etc.
Cette inflation monétaire qui relève d'une inflation par la demande va se conjuguer avec le risque d'une inflation dite de structure : c'st à dire la hausse des prix issue de structures à dominante oligopolistique. Ce phénomène existe avec clarté : il suffit de se reporter aux jurisprudences du droit de la concurrence : lessiviers, cimentiers, opérateurs de téléphonie, etc. Autant de secteurs lourds qui ont été démasqués dans des pratiques d'ententes illicites sur les prix.
Au total des paragraphes qui précèdent, il ressort que la pression sur les prix va être multiforme et convergente dans une crise dont la récurrence montre que les travaux de Clément Juglar sont probablement applicables puisqu'il fixait la durée d'une crise entre 8 à 11 ans. Autant Kondratieff évoquait des cycles pluri-décennaux difficiles à valider, autant nous estimons que relire Juglar n'est pas une absurdité, loin s'en faut.
Chacun pressent qu'il faudra plusieurs années pour stabiliser ( nous ne disons pas normaliser ) les situations. Si l'on retient pour hypothèse de travail un délai très raisonnable de quatre ans, cela revient bien à placer la crise intense que nous traversons sur une période 2007 à 2016. Dans le meilleur des cas, tant les déséquilibres sont grands et que l'endettement des Etats les privent de la plénitude des outils keynésiens qui permettaient habituellement de mener victorieusement des politiques contra-cycliques.
L'inflation sera inexorablement de retour et va déclencher des phénomènes d'anticipations " auto-réalisatrices " qui ne vont pas simplifier la lourde tâche des responsables de la politique économique de la France et de l'Union.
On peut dire que l'on va bloquer trois mois le prix de l'essence mais que faire après ?
Souvenons-nous de " l'édit du maximum " de l'empereur Dioclétien qui fut un échec pour lutter contre l'inflation en 301, il y a 1711 ans.