Crise bancaire : les petits pas vers l’humiliation ? (ENA - 1993)
La crise bancaire, clairement perceptible, gonfle quotidiennement les rangs des procureurs qui participent ainsi à l’humiliation d’une fonction clef de toute société capitaliste. Que se passerait-il si les économistes décidaient de rejoindre cette tendance ?
Pour tout observateur, même clairement informé, une chose est désormais certaine : la distance entre la et les futures crêtes de rentabilité bancaire est probablement beaucoup plus importante que nombre de décideurs ne le pressentent.
Loin des euphories récentes, les banques sont confrontées à une crise qui affecte l’ensemble de l’édifice. Qu’il s’agisse du volet humain, des paramètres sociaux, de la composition des produits ou encore des relations inter-établissements, un travail de redéfinition, sectoriel ou législatif, finira par s’imposer. Des amorces de solution ont pu être relevées mais force est de constater l’accumulation des échecs. Ici une négociation collective torpillée, là un flou quant aux vocations ultimes des établissements. La relecture des enneigements du rapport Pastré à la direction du Trésor (1985) est révélatrices des déficits d’efficacité collective. Ce qui serait probablement assimilable par le système en temps de faible houle devient un défi d’une toute autre ampleur dans la période actuelle qui est caractérisée par une montée sans précédent des risques. L’immobilier bien sûr. Mais aussi les sinistres industriels et la dégradation générale de la qualité des créances.
Cette situation stimule les discours alarmistes parlant d’effet domino tant la propagation des défaillances pourrait être un jour massive et violente.
L’objet de ces quelques lignes n’est certainement pas d’ajouter à cette cacophonie mais d’énoncer une triple observation, puis de formuler un souhait.
Première observation, l’application de la loi 1985 sur les faillites conduit à des non-sens qui ont un coût économique prohibitif. Que de mansuétude, initialisée par le législateur, lorsqu’il s’agit du débiteur défaillant, fût-il quasiment indélicat. Que de sanctions jurisprudentielles répétées dès lors qu’un établissement financier est impliqué dans un contentieux.
Coincées en tant que créanciers (scotchées…), pseudo-responsables en cas d’assistance à la reprise, dénigrées en tant que partenaires capitalistes, les banques supportent ainsi le poids excessif d’un jeu collectif de défausse§. Le tout dans un climat d’humiliation où on finirait par avoir le sentiment que notre pays est décidément condamné à avoir les banques les plus gourdes du monde…
Deuxième observation, l’analyse des mouvements de notre société rapporte le mépris que l’opinion a pour les banques. Pour schématiser sans dénaturer, disons que l’inconscient collectif fredonne tel un Gavroche dès qu’il s’agit de banques. L’humiliation provenant alors de l’imputation préalable et générale de la présomption de faute.
Enfin, plus complexe à analyser brièvement, la troisième observation traite des marges. Ressenties comme des entreprises à part, les banques devraient s’abstenir de réaliser des marges. La pluralité des discours sur ce thème vient de la confusion entre la marge et une notion située en amont : l’efficience allocative.
La concurrence bancaire a d’ailleurs induit une pression telle sur les marges que certains établissements ont progressivement de plus en plus mal orienté leurs ressources, alors même que le coût d’accès à celles-ci augmentait. Les économistes ont, quant à eux, toujours un certains respect pour les banques ou, à l’opposé, un dédain intellectuel peu propice à l’amélioration de la connaissance. Il est préoccupant de constater la montée des procureurs parmi une communauté : comme si l’analyse s’effritait devant la montée des force prônant l’humiliation.
A cet égard, un souhait. Celui qu’une réflexion collective sur le statut contradictoire et mutant de la matière première des banques émerge. Situées dans le cadre d’une société où la détention d’encaisses est le summum, les inquiétudes contagieuses précitées ont gommées des besoins de renouvellement de l’analyse économique.
Ainsi, au schéma traditionnel ou l’argent est un véhicule entre deux marchandises, un moyen entre deux constructions humaines, le système fonctionne désormais sur une logique où l’argent n’est investi que pour produire plus d’argent. (de M-A-M’ à A-M-A’).
« Beaucoup de mal a été fait par des amateurs de système, avocats de réformes de structure résolvant d’un seul coup tous les problèmes mais se refusant à régler ce qui peut être réglé quotidiennement. »
A l’aube d’un renouveau législatif annoncé, méditons cette phrase de Francis-Louis Closon, ancien directeur général de l’Insee, extraite d’un article sur le « Déclin de la France » publié, il est vrai, en décembre 1953…
Article paru dans le mensuel ENA (n°230) en avril 1993.