Hommage au Doyen et ami Henri Bartoli.
Soyons objectifs : le Doyen Henri Bartoli est peu connu du grand public et son aura intellectuel ne recouvre que les initiés de l'économie politique. On peut s'en insurger et disserter à l'infini sur l'ingratitude humaine qui ne respecte pas souvent ceux qui sont désormais en terre. Mais, dans le cas présent, cela serait faire fausse route : l'éminent Professeur de Paris I Sorbonne était avant tout un homme discret, voilà tout.
Plus précisément, deux points : d'une part, il passait beaucoup de temps à ses recherches et non à une quête médiatique qui lui aurait été aisée. D'autre part, il avait l'enseignement chevillé au corps et aura dédié des milliers d'heures de son existence à épauler ses étudiants. Il se dépensait sans compter, permettez que cela soit affirmé ici au nom de tous ceux qu'il aura contribués à faire progresser.
Né en 1918 et éloigné de nous en 2008, Henri Bartoli n'a eu de cesse d'essayer de trouver la voie d'un capitalisme à visage humain.
Il connaissait par cœur les notions de profit, de marge, de fusions-acquisitions mais son combat – celui de sa vie intellectuelle – consista à sensibiliser ses lecteurs et certains Grands de ce monde à une approche humaniste des rapports sociaux. Sensible à l'approche intellectuelle marxiste, il était de ceux qui considèrent que le choc frontal des rapports de classe mènent à l'impasse tant dans les pays développés que dans les émergents.
Certains de ses écrits ont été influencé par la pensée de l'économie sociale chrétienne : évidemment par l'Encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII et par son passage par la Jeunesse Etudiante Chrétienne où il cherche – là encore – les clefs d'une vie plus fraternelle.
Il aura su nous influencer au bon sens du terme et nous sensibiliser à une de ses nobles obsessions : la lutte contre la faim dans de le monde.
Fondamentalement, il aura su – comme le Professeur Raymond Barre – nous démontrer que les sciences économiques sont une discipline mais que le sujet, le vrai, s'appelle économie politique.
" L'économie n'est pas la science de sujets isolés mais de rapports sociaux de production et d'échange de sorte que sa dimension politique est fondamentale " ( L'économie, service de la vie, Le monde diplomatique 1996 ).
Cette phrase est devenue, à mon corps défendant, la colonne vertébrale qui guide ma pensée et façonne ma plume : comme toujours dans ces cas-là, j'ai mis des années à m'en rendre compte.
Débiteur de ce grand Professeur, je suis aussi débiteur de l'homme qui sût accompagner ma délicate décision de quitter le service de l'Etat en 1985. Il me fit la proposition de faire route commune sur un projet d'envergure : le jeune absurde que j'étais a décliné l'offre et le regrette plus d'une fois, en se rasant le matin, pour prendre une formule de carriériste assumé.
Nous aurons pensé ensemble, nous aurons cheminé ensemble mais aucun écrit commun n'aura eu le temps de voir le jour.
J'ai su plus tard qu'il l'a regretté : aujourd'hui – humblement – je partage le regret de cette forme de rendez-vous manqué.
Au hasard des pages que je commets, j'ai parfois une pensée pour sa rigueur et son humanisme : je ne saurais mériter le titre de disciple mais revendique avec vigueur celui d'élève.
Oui, avoir été élève d'Henri Bartoli fut une des chances de ma vie.
Pour parler de la vraie chance et de la vraie vie, il faut savoir que l'ami Bartoli a été très actif dans la protection des juifs pendant la Guerre. Il a d'ailleurs été admis parmi les Justes parmi les Nations en 1998.
Dans cette France rougie par le sang des partisans et trahie par le marché noir et la collaboration, Henri Bartoli fut un homme de blancheur d'âme et de haute rectitude morale.
Pour lui, Vichy n'était pas la France et les évènements de Juillet 1942 devaient être compris dans le contexte d'un pays asservi.
Tels Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et l'homme du Morvan François Mitterrand, il considérait absolument requis le devoir de mémoire mais réfutait l'idée que la République ait à s'excuser.
Sur ce sujet si douloureux – dont je partage l'épine dorsale - se termine mon hommage à un homme qui a su traverser avec talent, honneur et fine intelligence le XXème siècle.
Je me revois, jeune étudiant, cocher la case d'inscription à son cours et je me dis, avec une vraie émotion, que les belles rencontres de la vie tiennent à peu de choses.
Que votre Esprit repose en paix, ô ami de toujours !
Que vos disciples portent longtemps votre pensée telle la torchère de la liberté qui était une de vos valeurs cardinales.
Sachez que nous sommes plusieurs à qui votre voix chaude et ferme manque, ô Doyen de notre belle Sorbonne.