Le psychodrame programmé du collectif budgétaire
Le 11 Juin, le Conseil des ministres doit adopter le projet de collectif budgétaire qui sera soumis à l'examen et aux votes des deux Assemblées. " Maintenant, ça va tanguer ! " ( pour reprendre une expression fameuse de Pierre Mendès-France le soir du 10 Mai 1981 ) pourrait bien être le destin intrinsèque de ce texte où les pouvoirs exécutif et législatif sont face à face bien davantage que côté à côte.
( Article publié dans Le Cercle Les Echos en date du 8 Juin 2014 )
Face à face car une large partie de la majorité parlementaire ne considère pas avoir été élue en Juin 2012 pour mener une politique de l'offre clairement d'inspiration social-démocrate. Mieux, de Barbara Pompili ( EELV ) à Yann Galut ou Pascal Cherki, bien des voix sonores considèrent qu'il s'agit de mener – à grands regrets - une politique social-libérale. Ces antagonismes de perception et de compréhension mutuelles sont essentiels car ils vont rendre les débats animés et les arbitrages délicats. Le ciment du psychodrame est là.
Première conséquence économique d'importance : une fois de plus, notre pays risque d'être marqué par l'instabilité fiscale. Il suffit de se reporter aux récentes déclarations de la députée Karine Berger sur le calendrier prévisionnel d'allègement et de suppression de la C3S. Ses affirmations partagées par des parlementaires ne recoupent pas les déclarations préalables de Bercy. Idem sur le sujet de la sortie de près de 2 millions de Français du champ de l'impôt sur le revenu. Ce thème risque d'être la matrice d'une cristallisation des antagonismes. Là où l'économiste attentif à l'Histoire garde en mémoire la parfaite convergence entre Raymond Barre et le tonique Marc Blondel qui estimaient que tout le monde doit payer l'impôt au nom du principe d'appartenance à la Nation et du droit d'influencer ses choix économiques. Le syndicaliste allant même jusqu'à rappeler que l'impôt " c'est le cordon ombilical de la citoyenneté " (http://www.liberation.fr/economie/2001/01/12/contre-marc-blondel-fo_350792 )
De facto, les amendements généralement examinés en séance de nuit vont tordre le schéma de l'Exécutif et d'autant plus que l'observateur averti sait qu'il y a des nuances – pour ne pas dire plus – entre les analyses du ministre Michel Sapin et du secrétaire d'Etat au budget Christian Eckert. Ainsi, chacun mesure les pièces du puzzle qui va conduire notre Nation à un psychodrame programmé et à des lézardes relationnelles avant que le mot de compromis ne sorte de l'encrier délibératif collectif.
D'évidence, le mois de Juillet verra le texte aboutir mais dans quel état et pour quelle gestion de l'Etat ? Selon les informations actuellement connues, le collectif budgétaire proposé au Parlement devrait comporter un nouveau train d'économies de 4 milliards dont 1,6 pour l'Etat. L'analyste peut être d'ores et déjà certain que des prochains rapports de la Cour des comptes ( diffusés en 2015 ) stigmatiseront la faiblesse de la réduction de la dépense publique en la rapportant à un fait avéré et préoccupant : le déficit budgétaire ( voté en PLF 2014 à l'automne dernier ) est de 82,6 milliards contre 74,9 en 2013. Ainsi, pour ceux qui clament ( voire pérorent ) sur le talent budgétaire de notre pays, il faut bien enregistrer que près de 10 milliards séparent, en aggravation, le déficit primaire du budget. Cela peut se concevoir et éviter ainsi l'effet pro-cyclique néfaste qu'ont engendré les fortes hausses de la pression fiscale des gouvernements Fillon et Ayrault que n'avait pas manqué de relever promptement le sénateur Gaëtan Gorce. Mais alors, si près de dix milliards de déficit additionnel sont inscrits et d'ores et déjà votés, quel est le sens du collectif budgétaire ? Quelle est, au fond, sa nécessité ? En effet, les recettes fiscales nettes ont augmenté de 2,6% depuis le début de l'année : les 91 milliards étant toutefois traversés par une ligne rouge : d'un côté, on relève une hausse des rentrées de l'IRPP ( + 20,2% ) qui contraste brutalement avec la baisse affectant les rentrées de l'impôt sur les sociétés : moins 22%. Au plan de la sincérité budgétaire, ce collectif ne s'inscrit pas au mode impératif. Sauf à y voir un deuxième souffle à quasi mi-mandat présidentiel et aussi une légitimation, par les chiffres, du discours de politique générale du Premier ministre.
La réalité de nos contraintes collectives que le Président de la République et le Premier ministre ont parfaitement en tête s'explique par cette satanée longueur de la crise qui nous impose la langueur du retour de la croissance. Mais, sujet de débat entre les tenants et les opposants du Pacte de responsabilité, il y a bien la propension de notre pays à aimer la dépense publique et sa paralysie presque totale au regard de réformes de fond comme la Suède et le Canada les ont menées sans porter trop d'altérations à leur modèle social. A regarder avec assiduité certains échanges parlementaires, je m'interroge sur la distance entre ce réel déroulé sous nos yeux et les exigences de notre temps de crise qui devraient conduire les décideurs à prendre pour boussole de l'action publique " l'éthique de la discussion " ( Diskursethik ) théorisée si subtilement par Jurgen Habermas. Dans une France politique qui est, ici ou là, en mal d'éthique et en besoin de cours de comptabilité privée, les nécessités de 2014 en comptabilité publique semblent renvoyer à un propos instructif de l'économiste libéral Frédéric Bastiat : " Il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des Nations, etc. Trop de gens se placent au-dessus de l'humanité pour la régenter. Trop de gens font métier de s'occuper d'elle ". ( La Loi, 1850 ).
Ayant eu l'occasion d'écrire que la règle de 2 sénateurs et de 3 députés par département ferait grand sens ( soit moins de 500 élus contre 348 + 577 = 925 ) comme l'ont démontré des personnalités aussi diverses que Joseph Macé-Scaron ou Erik Orsenna et Jérôme Monod, la Nation est en droit d'attendre des élus réformateurs et non des arguties à valeur psychodramatique qui ne matérialisent pas des avancées constructives fussent lors de l'examen d'un collectif budgétaire. L'énergie qui va être dépensée aura un coût pour les finances publiques et sera peut-être un mauvais coup pour la démocratie parlementaire qui doit être, face aux populismes, plus compacte et sensible aux préceptes de Maw Weber notamment en sa dichotomie entre les " jugements de valeurs " et les " rapports aux valeurs ". Trop de subjectivité et de calculs politiciens voire personnels n'ont rien à voir avec le rapport aux valeurs qui se déploie à l'aune de la recherche de la vérité.
Le psychodrame parlementaire qui se dessine sera loin de la quête de " neutralité axiologique " ( Max Weber ) et sera une sorte de foire d'empoignes porteuse d'incertitudes dont les agents économiques ne sont nullement friands. L'Exécutif sera en quête de réassurance et de légitimation là où les honorables membres du Parlement auront différents vecteurs d'action. De ce quiproquo, la Nation perdra un peu de confiance ( déchirements publics ou larvés ) et surtout se verra soumise à la notion de " perte de chance " chère à des jurisprudences de la Cour de Cassation. La dictature douce des micros des chaînes d'information qu'affectionne tant d'élus et le perpétuel concours Lépine de l'amendement parlementaire fiscal ne sont pas les amis de la France en cette veille d'été 2014. Le décideur public ultime ne saurait l'ignorer. D'évidence.
Jean-Yves Archer / cabinetarcher@orange.fr