23/11/2012

Trois réformes bancaires de front en 2013 : gageure ou progrès ?

Quand on songe à la loi bancaire de 1984 qui avait succédé aux grandes nationalisations des 36 premiers établissements financiers du pays en 1982, on se dit que le passé a déjà été source de défis à relever. A cette nuance près que nous n’étions pas, en Occident, en phase annoncée de quasi-récession et soumis à des désordres profonds en matière d’endettement privé ou souverain.

Credit crunch

"Credit crunch"

Quand on songe au programme affiché et revendiqué par les Pouvoirs publics français et européens en 2013, on est dans l’obligation de se préoccuper de l’ampleur de la tâche et de s’interroger : s’agira-t-il d’une gageure intenable ou d’une marche crédible vers le progrès ?

Prenons les choses dans un ordre chronologique qui va nous montrer le risque de déficience de logique.

La France va très prochainement adopter en Conseil des ministres un projet de loi majeur visant à réformer profondément les conditions d’exercice de la profession bancaire dans l’hexagone. Cette future loi Moscovici, du nom évident de son futur auteur, veut tirer les leçons des risques de la crise de 2008 : qu’il s’agisse de la question du maintien de la banque universelle ou qu’il s’agisse des relations inter-bancaires. Sans même évoquer les banques d’entreprises auxquelles l’Etat apporte une caution de près de 8 milliards ( Groupe PSA ) pour repousser le risque d’un important naufrage industriel qui aurait d’évidentes conséquences sociales qualifiables de traumatiques pour les personnels concernés et la filière automobile. Dans un ordre chronologique, les décrets d’application de la loi Moscovici votée en toute fin d’Automne devraient être publiés – au mieux – au Printemps.

Or, il nous semble quelque peu surprenant voire osé de changer notre socle législatif bancaire au moment où l’Union européenne vient de recevoir, en date du 2 Octobre 2012, le rapport de Monsieur le Gouverneur de la Banque de Finlande ( et donc membre du directoire de la BCE ). Ce rapport d’Erkki Liikanen commandé en Février 2012 par le Commissaire européen Michel Barnier a un sujet unique que son titre résume pleinement : « Rapport de la commission d’experts européens sur la réforme bancaire ». Le lectorat aura immédiatement décelé notre vive interrogation : quel sera l’avenir opérationnel de la loi Moscovici face à la future adoption programmée d’une Directive européenne moins d’un an après son vote au Parlement français ? Dans certains bureaux de Bercy, il est affirmé que les réflexions du groupe Liikanen ont été intégrées au futur schéma français. Soit. Mais en passant par la case du droit et de la hiérarchie des normes, chacun sait que notre pays aura à transposer la future Directive bancaire européenne et que ceci risque de profondément modifier le nouveau texte.

A la place des banquiers nationaux, en vertu des enseignements de l’école des anticipations rationnelles, je ne serais guère « pressé » de mettre en place les innovations que la loi française ne manquera pas de requérir. Vous voyez pourquoi la chronologie a son importance et ne fait pas la part belle à la logique. Parlant de logique, il arrive que l’on traite d’un rapport sur la compétitivité avant qu’il ne soit remis par son auteur ( Louis Gallois ) ce qui est d’autant plus ingrat que l’on semble avoir compris de déclarations des deux plus hauts personnages de l’Etat qu’ils étaient sur la réserve – pour ne pas dire plus – vis-à-vis de ce rapport. Ce détour par le rapport Gallois a ici un sens certain : Monsieur Louis Gallois était un des douze membres du groupe d’experts réunis par le Gouverneur Liikanen, et bien sûr l’unique français. No further comment.

Le rapport Liikanen est de nature opérationnel : il va conduire à la rédaction d’une Directive qui sera éventuellement adoptée en 2013 ce qui fera une deuxième réforme pour notre paysage bancaire. Dans la même année au strict plan juridique et législatif. Future matrice des idées-clefs de Bruxelles, le rapport Liikanen vise à assurer l’efficacité et la stabilité des banques. Il rejette l’idée fort répandue de revenir à un dispositif du type Glass-Steagall Act de 1933 hélas abrogé en 1999 par le Président Clinton. Ainsi, les conclusions du rapport Liikanen ne proposent pas la séparation frontale entre les activités de banques de dépôts et celles des banques d’investissement. Selon un cheminement plus pragmatique et probablement plus subtil, le groupe d’experts milite en faveur d’une « compartimentation » (ring-fencing) des fonds dédiés à des activités de marché pour compte propre de celles effectuées pour compte de tiers. Dès lors, on dispose d’une prévention des risques et d’une sorte de pare-feu robuste avec les activité de « retail-banking ».

En pratique, le trading devrait être juridiquement clairement isolé en disposant de ses propres dotations en capital et donc de ses propres résultats d’activité sans que ces derniers ne puissent venir impacter les activités des banques de dépôts. Cette volonté d’exiger des traders une autonomie comptable est partiellement issue des travaux de la commission britannique Vickers et de la loi américaine Dodd-Franck. Pour les experts du groupe Liikanen, seules les activités de trading à haut risque et d’autres produits potentiellement dangereux ( crédit aux hedges fund ) seront visés. Une question importante reste ouverte concernant certaines modalités de financement du « private equity » ce qui, là, n’est pas une question neutre pour les entreprises innovantes.

Ce projet de Directive comporte toutefois un élément de surprise : compte-tenu des seuils retenus par les experts seuls 20 ( vingt ) banques seraient concernées dans toute l’Union dont quatre en France : BNP Paribas, Société Générale, BPCE et Crédit Agricole. Au plan analytique, on peut craindre de voir émerger des contrats de sous-traitance entre grandes et petites banques afin de « fluidifier » la nouvelle régulation ou d'amplifier les flux gérés par le "shadow banking" c'est à dire par des institutions financières non bancaires et très peu soumises à régulation. Ceci est d’autant plus crédible que la banque est un métier spécifique comme le rappelle magistralement la citation infra : " Une activité notable du banquier est la prise ou réception d'engagements significatifs ( opérations de hors-bilan ) sans qu'il y ait transfert de fonds. Il peut en découler que ces engagements ne génèrent pas d'écritures comptables dans les systèmes généraux. La non-prise en compte de ces éléments peut être difficile à déceler. " Jean-Luc Siruguet, in " Le contrôle comptable bancaire ". ( Revue Banque Edition : page 86 ).

Sur ce point des engagements et opérations hors-bilan, le chantier de la maîtrise des risques balbutie mais n’embraye pas au niveau de l’Union. Gardons toujours à l’esprit les volumes engagés par Nick Leeson ( Banque Barings en 2001 ) ou Jérôme Kerviel ( SG ) ou JP Morgan ( 2011 ).

En revanche, troisième réforme de l’année 2013 : le vaste chantier de la réforme de la supervision bancaire. Lors du sommet européen du 18 Octobre est intervenue une remise à plat du dossier délicat du projet de supervision bancaire. Depuis la crise de 2008, ce projet n’est pas un projet à consensus mais les Chefs d’Etat ont parfaitement conscience des enjeux pour la zone euro. Dès 2009, il avait été débuté une réflexion afin de réduire le niveau de risque. Ainsi, lors du mois de février 2009 paraissait le rapport de Monsieur Jacques de Larosière ( ancien Directeur général du FMI, ancien Gouverneur de la Banque de France, ancien Président de la BERD ) sur la refonte du système de supervision financière européenne. Ce rapport public, destiné à la Commission, recommandait la création de deux structures afin de pouvoir réaliser une supervision bancaire. Après l’action du commissaire européen McCreevy à la fin de 2009, le règlement du 24 novembre 2010 ( EC : 1093/2010 ) est adopté et instaure la création de l’Autorité Bancaire Européenne. La finalité stratégique de l’ABE est claire : il s’agit de veiller à l’efficacité du système européen de surveillance financière. Cette Autorité est entrée en fonction opérationnelle à compter du 1er Janvier 2011. Dotée de la personnalité juridique, elle doit s’assurer de la transparence, l’intégrité et l’efficacité des marchés financiers tout en s’assurant du caractère sécurisé des prises de risques de crédit.

A ce stade, la situation parait positive mais deux bémols – parmi d’autres – viennent nuancer le progrès apparent. D’une part, le calendrier européen est toujours miné d’aléas : d’une idée du début 2009, on aboutit à un outil performant seulement au début de 2011. Deux ans, donc. Deuxième bémol, lorsque la quatrième banque espagnole ( Bankia ) frôle la faillite et conduit l’Etat à une nationalisation précipitée début 2012, on n’a guère vu, lu ou entendu l’ABE. Idem pour la situation complexe de Dexia.

Le progrès se serait-il mué en bureaucratie ? La question est posément et respectueusement ouverte.

L’ABE est bien évidemment chargée de piloter les évaluations des risques qui déterminent la solidité des banques. Lorsque des stress tests ont été effectués, les premiers modules n’incluaient pas dans leur périmètre l’analyse des créances liées à des dettes souveraines. Là encore, une question de principe se pose tant était déjà connue l’ampleur des déficits publics. L’inanité des efforts des auditeurs est établie s’il y a un tel défaut de périmètre. Où est le progrès alors que les premiers stress tests ont été un marché de dupes à meilleure preuve les établissements mal évalués lorsque l’ensemble des risques souverains a été intégré dans le champ des tests. Après ce rappel et la description de ce progrès en cours de déploiement se pose bien évidemment une question-clef : nous avons tous entendu les Chefs d’Etat déclarer que la supervision bancaire allait être conduite et exclusivement pilotée par la Banque Centrale Européenne. Quid de l’avenir de l’ABE ? Le commissaire Barnier a écrit le 17 courant : « Au cours des négociations actuelles, nous pouvons affiner les rôles des autorités nationales et européennes, mais l’autorité ultime doit appartenir à la BCE ». Le propos est en cohérence avec celui des exécutifs mais quelle traduction concrète comprendre derrière le verbe « affiner ». La BCE est à Francfort et Madame la Chancelière Merkel a très clairement indiqué que le siège de la supervision y serait aussi et concernerait aussi les banques régionales allemandes. Pendant ce temps-là, l’ABE a son siège à Londres.

Quel scénario verrons-nous en 2013 ? Dilution pure et simple de l’ABE, dissolution de la personne morale ABE devenant alors un département de la BCE ? Ce sont des questions non encore tranchées où chacun voit bien les enjeux de pouvoir technique et supra-national. En termes de chronologie, les décisions prises au sommet du 18 Octobre ont fait glisser les dates de mise en œuvre de près d’un an ce qui pose certainement problème aux banques espagnoles en quête de soutien. S’agissant de 2013 et de propos volontaristes, il a été assez surprenant de voir une haute personnalité française déclarer au journal Le Monde que la sortie de crise de l’euro était tout près d’être acquise. D’une part, rien n’est moins sûr puisque l’Espagne demeure une mine flottante qui dérive puisque son gouvernement ne veut pas voir la réalité des créances douteuses détenues par son système bancaire et l’ampleur des engagements financiers des Régions. D’autre part, il nous semblait que bien des pays n’ont pas encore ratifié le Traité instaurant le MES.

N’est-il pas présomptueux de considérer ces votes confirmatifs comme certains ? Comme le rappelle Monsieur Barnier, « Entre 2008 et 2011, les contribuables de l’UE ont dû mobiliser 4.500 milliards d’euros en aides et garanties publiques à leurs banques ». Paradoxe non savoureux, les mêmes banques pour diverses raisons ( aversion au risque en situation de croissance atone, application progressive des ratios Bâle III, etc ) font subir à l’économie un resserrement du crédit ( « credit crunch ») qui, alliée à une pression fiscale accrue, n’est pas de bon augure.

Notre Europe a décidément un rapport à la chronologie et à la linéarité qui rend perplexe.

Rapport au temps contestable si l’on songe que le premier rapport Lamfalussy destiné à permettre l’élaboration de règlementations financières remonte à plus de dix ans : 2001. Si le brillant Nouriel Roubini a eu une analyse prémonitoire et fine de la crise de 2008, convenons que l’Europe aurait mieux vécu toutes ces bourrasques si les travaux d’Alexandre Lamfalussy avaient été traduits en actes.

Rapport à la linéarité contestable. En matière financière, l’Union européenne a adopté fin 2002 ( il y a dix ans très exactement ) le « processus Lamfalussy » qui prévoit quatre niveaux pour optimiser le travail législatif. ( Elaboration de la législation, mesures d’exécution, coopération des régulateurs et recherche de convergences des droits nationaux , contrôle du respect du droit ). Hier, un nouveau type de supervision bancaire est né. Va-t-on faire table rase des travaux de l’ABE ou les absorber au sein de la BCE en respectant le processus Lamfalussy ? Idem pour notre ACP : Autorité de Contrôle Prudentiel ( française ).

Quand on voit tout ce qui reste à négocier, on s’émeut. Quant on voit ce manque de respect de la linéarité, on s’insurge.

Notre propos est ici très net : il nous semble – après analyse - que renforcer et élargir les missions de l’ABE eût été plus avisé et moins coûteux en temps que de tout basculer vers la BCE.

Quant à dire – comme d’aucuns - que plus de 6.000 banques seront sous la coupe réglée du régulateur avant la fin de 2013, c’est de manière quasi-assurée une gageure intenable voire une farce de mauvais aloi. La supervision n’est ni superfétatoire ni superflue : aux dirigeants de ne pas la polluer par des considérations l’élevant alors au rang de gageure intenable.

Dans Mémoires d’Hadrien, l’académicienne Marguerite Yourcenar écrit : « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même » A l’heure où le rapport Liikanen et le projet d’union bancaire sont deux réformes majeures qu’il faut réussir, il me semble urgent que certains rouages de l’Union découvrent un peu le mot introspection afin de trouver leur « véritable lieu de naissance ». Trois réformes la même année pour un secteur est un choc de type chirurgical ( comme pourrait le dire d’expérience le tonique Ministre Jérôme Cahuzac ) : les banques ne pourront absorber avec une certaine sérénité ce choc que si les décideurs publics, en réunion européenne, porte un coup d’œil intelligent sur eux-mêmes et donc sur notre futur commun.

Européen convaincu, je redoute un peu 2013 car nous savons bien que derrière cette contribution se pose en réalité une question de rapport de pouvoir à la fois entre Nations et industries bancaires respectives. Pour reprendre une formule que feu le brillant Dominique de La Martinière affectionnait : « Il va y avoir des « coups » à faire mais aussi des coups à prendre ». C’est en effet au moment où les régulations fluctuent que les consolidations sectorielles s’opèrent...

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