Francis-Louis CLOSON
Hommage à Francis-Louis CLOSON :
Fin Décembre 1999, la France fut balayée par une violente tempête qui déchira les paysages et provoqua de nombreux dommages et souffrances.
Un an auparavant, le 12 Décembre 1998, s'éteignait un Compagnon de la Libération nommé Francis-Louis CLOSON et son rappel à Dieu déchira nombre de cœurs et provoqua bien des souffrances.
Tout d'abord, parce que c'était un homme trinitaire : en premier, il avait des valeurs et sa rectitude ne l'en faisait jamais s'en éloigner. Deuxièmement, il était fidèle en amitié et on savait que l'on pouvait compter sur lui. Enfin, il était tout simplement attachant car son amour pour les autres était manifeste et surtout hautement transmissible.
Nous ne souhaitons pas évoquer ici sa mémoire mais ce que fut sa vie : il n'aurait guère goûté un hommage et nous acceptons l'idée de son regard réprobateur car notre estime et notre affection guident l'écriture de ces lignes.
L'ami Closon fut celui d'Edmond Malinvaud et de bien d'autres économistes français puis étrangers : il y avait bien sûr son penchant pour l'économie politique, il y avait surtout la longue période de sa vie qu'il dédia à l'I.N.S.E.E : songez qu'il en a été le Directeur Général infatigable de 1946 à 1961.
Deux septennats et un an si nous étions en politique ! Quinze ans d'une vie remarquable puisque de nombreux ouvrages lui reconnaissent d'avoir directement contribué à la création de l'I.N.S.E.E où tout n'est pas parfait mais où bien des sujets sont très bien suivis.
Cet hommage pourrait s'arrêter ici : Compagnon de la Libération et Directeur Général de l'I.N.S.E.E sont deux évènements qui structurent une vie.
Mais ce grand amateur de musique classique n'a pas eu une vie : il a eu un destin. Oui, un vrai destin digne de certaines épopées que certains romans russes décrivent à merveille.
Né en 1910, il n'avait donc que 30 ans en 1940 et après avoir été boursier de la Fondation Rockfeller, il est devenu chef des services financiers de la Mission d'achats français aux Etats-Unis. Trente ans et déjà une vraie responsabilité supposant discernement, négociation et intégrité.
Dès Septembre 1940, il est à Londres auprès des équipes du Général de Gaulle qui le nommera à l'été 1941 responsable des finances de la France combattante.
On imagine des échanges entre l'éminent juriste René Cassin et le féru de libertés fondamentales qu'était le regretté F-L Closon. Tout cela devait avoir de la tenue et du sens pour l'urgence qui était de sauver la France.
En 1942, cet homme de dossiers va changer de dimension et parfois de costumes : il devient Directeur au commissariat à l'intérieur du Comité français de libération nationale et sera parachuté à plusieurs reprises en France occupée.
Par définition, ses missions sont secrètes et il n'en parla jamais beaucoup même quarante ans après. Dans " Souvenirs d'une longue carrière " ( " De la rue de Rivoli à la Compagnie de Suez : 1920 – 1971 " ) Jacques Georges-Picot écrit, page 174, un texte instructif : " Je cherche à me rappeler quelles ont été ma connaissance de la Résistance intérieure active et mes relations avec certains de ses membres : à la vérité, peu de choses. Seul Francis Closon, que j'avais connu à New-York, est venu me voir rue d'Astorg. (...) Je n'ai pas bien compris le but de ces visites qu'il m'a faites au cours de deux séjours clandestins différents qu'il faisait en France ".
Comme ses heures en métropole étaient aussi risquées que comptées, il y a fort à parier que le résistant Closon ne repartait pas bredouille mais au contraire le sac à dépêches -évidemment logé dans son seul cerveau – devait être rempli d'informations précieuses et précises pour le staff du Général de Gaulle voire pour le seul Général, en tête à tête.
1940 à New-York, 1941 aux finances de Londres, 1942 dans l'obscurité alors que la France plongeait dans la pleine nuit de l'Occupation ( Rafle du Vel' d'Hiv', invasion de la zone Sud, etc ) : tout ceci forge un destin par-delà l'enveloppe charnelle de la vie.
Mais, 1943 et 1944 furent deux années encore plus décisives. Au Printemps 1943, il entre en contact avec le futur martyr Jean Moulin et l'ami Closon se trouve alors chargé de constituer des comités de la Libération à Paris, Rouen, Dijon, Lille, etc.
Au sujet de cette période, il faut se reporter à son livre aussi émouvant que palpitant à lire : " Le temps des passions, de Jean Moulin à la Libération, 1943-1944 ".
On y découvre un homme de bureau devenu un de ceux que les épreuves révèlent comme courageux et efficace : oui, " Vincent " ( son nom de code ) fut un immense Résistant et il a contribué à sauver notre Nation.
Après avoir su changer de costume et pris tant de risques en mission opérationnelle, on retrouve Francis-Louis Closon comme super-préfet : " Commissaire de la République " à Lille de Septembre 1944 à Mars 1946.
Son livre consacré à cette période et sobrement intitulé " Commissaire de la République du Général de Gaulle " donne presque des frissons tant notre génération a du mal à conceptualiser les affres de la Reconstruction et les désolations auxquelles il convenait de parer sans oublier la dureté de la vie ouvrière, dans les mines notamment.
Convenons, après l'énoncé de ses lignes, qu'il s'agit bien d'un destin et pas seulement d'une vie. Tout ne peut être repris – hic et nunc – mais on doit citer l'attentat à son domicile en Avril 1962 clairement imputé à l'OAS ( Organisation de l'Armée Secrète ) qui ne pardonnait pas à Monsieur Closon son plein accord avec le Général de Gaulle quant à l'indépendance de l'Algérie.
Parlant de domicile, nous avons été voisins près du parc Monceau pendant douze ans.
Moins de six mois après notre entrée dans l'immeuble, il m'appela à ses côtés au Conseil syndical ce qui n'est jamais une tâche bien fascinante. Mais derrière les minutes consacrées à des histoires de mise en conformité de la machinerie de notre ascenseur, il y a eu des heures d'échanges d'honnêtes hommes.
On garde parfois un souvenir cordial des contacts avec un voisin intelligent. Dans le cas présent, ces contacts ont vite abouti à une connivence et à des propos parfois sérieux sur l'état du pays, parfois badins sur la classe politique ou sur certains décideurs.
J'arrivais avec ma connaissance livresque sur la IVème République et bien entendu sur les débuts de la Vème : l'excellent Closon prenait sa serpe et nettoyait ce jardin imaginaire à la Malraux pour y mettre de la cohérence et de la vérité.
C'était un homme strict qui ne supportait ni les opportunistes, ni les apprentis Machiavel que drainent parfois l'histoire parlementaire.
Bref, il préférait Paul Delouvrier, Eugène Claudius-Petit ( selon les périodes ) à un certain François Mitterrand.
Quand nous parlions du Morvan et de ses forêts majestueuses, nous évitions d'évoquer la ville de Château-Chinon pour nous rabattre sur l'architecture gallo-romaine d'Autun !
Concernant les forêts, notre cher Ami Vincent avait réalisé un rêve : planter une peupleraie à Ponton, une maison proche de Chatillon-Coligny dont il fût longtemps maire. ( Loiret ).
J'ai eu le grand plaisir, intact en ma mémoire, de marcher avec lui au milieu de ses arbres. Il était autre à la campagne. Nous parlions de la vie et moins de la chose publique.
De haut dignitaire du régime gaulliste et de valeureux Résistant impressionnant, il devenait un ami sans âge qui me parlait comme un oncle ou comme un très jeune grand-père.
Voisin à Paris par pur hasard, nous fûmes aussi voisins dans le Loiret puisque mon ex- belle-famille réside à moins de 20 kilomètres de Ponton. Nous nous sommes vus à plusieurs reprises et il nous fit le plaisir de venir déjeuner avec son épouse et passer une après-midi chez nous.
Avec son sens aiguisé de l'affection, il m'indiqua avoir été heureux de situer le cadre dans lequel nos enfants évolueraient et puis, en le raccompagnant, vers Ponton, il me glissa à l'oreille quelques leçons de vie notamment son rejet de tout ce qui se rapproche de l'extrême-droite. Il avait l'art d'émettre des messages clairs.
Sa vie fût un destin. Pour ma vie, il fût un morceau de la boussole indispensable pour trouver son chemin. Je lui en sais gré. Profondément.
A la page 149 du " Temps des passions ", Vincent redevenu Francis-Louis Closon cite un mot de Goethe dans Torquato Tasso : " La présence est une bien puissante déesse, apprends à en connaître l'influence, reste ".
Oui, votre présence fut et demeure puissante. Votre influence est bien gravée comme étaient alignés vos peupliers de Ponton. En fait, vous êtes resté dans nos cœurs pour prolonger votre vie d'ami intemporel. Sacré destin et belle communion d'esprits !
Rédigé un Dimanche de Pentecôte.