12/04/2013

Prévisions de croissance : erreurs et mensonges.

Les citoyens français ont des habitudes qui ne se démentent pas, année après année. Ainsi les embouteillages du début du mois d'août sont un rituel aussi récurrent que le déficit de la Sécurité sociale. On peut le déplorer mais c'est ainsi. Dans la même veine rituelle, se trouve la question importante des prévisions de croissance que le gouvernement établit et sur lesquelles reposent nombre de calculs permettant d'élaborer le budget de la Nation.

 

La prévision de croissance doit-elle faire l'objet d'une juste anticipation ou peut-elle être un simple repère ?

 

 

Le ministre Moscovici aura été assez surprenant en s'agrippant – pendant des mois - à l'idée de 0,8% de croissance du PIB en 2013 ( ce que nous contestions sur ce site le 16 octobre 2012 en taxant cette hypothèse " d'insulte à l'intelligence " ) pour finalement devoir se rallier au consensus des économistes et à la vision de la Commission de Bruxelles, à savoir 0,1%. Ralliement intervenu début mars 2013...

Alors que la politique fiscale a été pro-cyclique et a donc contribué à accompagner le ralentissement de la croissance, on discerne mal ce qui empêchait d'émettre une juste anticipation du taux de croissance plutôt qu'un taux de convenance.

L'Histoire semble vouloir bégayer et le même ministre va jusqu'à annoncer désormais 1,2% pour l'année 2014 ce qui interpelle sous trois modalités.

Tout d'abord, les 1,2% ne font pas l'unanimité au sein des économistes de renom que compte notre pays ou des organismes comme l'OCDE. Loin s'en faut.

Puis, 1,2% est un chiffre qui se situe à environ un point en-dessous du seuil ( 2 à 2,5% ) qui est requis pour que la France présente un solde net positif d'emplois. Autrement dit, le ministre de l'Economie prédit en creux une poursuite de la montée du chômage en 2014 sur un rythme certes amoindri mais toujours présent.

Enfin, 1,2% signifie que les rentrées fiscales seront insuffisantes pour tenir l'objectif de 3% du déficit public issu des obligations du Traité de Maastricht sauf à imaginer d'autres vagues de prélèvements obligatoires.

Chacun restera carrément songeur quant aux 2% de croissance anticipés pour 2015 car les évènements internationaux ( relance américaine ou non ? politique allemande strictement maintenue ? etc ) sont autant de paramètres qui ne militent pas pour un chiffre aussi élevée.

 

Alors pourquoi cette quantification est-elle un rituel de mystification ?

 

En premier lieu, il y a un certain confort car plus le taux anticipé est élevé, plus le budget est présentable et aisé à " boucler ". Quitte à dépasser, rituellement, son solde d'exécution depuis des décennies et créer de la dette additionnelle.

En deuxième lieu, les gouvernants font reposer leurs dires optimistes sur l'idée que cela rassure les investisseurs étrangers mais aussi le " moral " de la Nation. Là où Raymond Barre a méthodiquement et loyalement tenu un discours de vérité et réussi à redresser nos comptes publics, plusieurs de ces successeurs ont agi comme des sarcelles flottant dans l'air bien au-dessus des réalités. Au détriment, in fine, du pays.

En troisième lieu, les politiques ont une fâcheuse tendance à penser qu'afficher un "bon" taux de croissance va améliorer, par capillarité, le climat des affaires. Ils vivent ainsi sur un schéma des années 70 où les citoyens n'étaient pas aussi avertis et aussi bien informés. Désormais des millions de Français sont en capacité de jauger ce qui est plausible de ce qui ne l'est pas : c'est un progrès démocratique et économique.

 

Etre face au vrai miroir du possible semble un atout pour un pays moderne mais certains ne peuvent s'empêcher de chercher des biais très provisoirement confortables. Chacun comprend l'étau politicien qui assaille l'exécutif  mais nous savons tous, en ce moment même, ce qu'il en coûte de se faire abuser pendant des années.

 

Le médecin et sociologue Gustave Le Bon a écrit : " En matière de prévision, le jugement est supérieur à l'intelligence. L'intelligence montre toutes les possibilités pouvant se produire. Le jugement discerne parmi ces possibilités celles qui ont le plus de chance de se réaliser " ( in " Hier et Demain " ).

 

Comme l'a montré feu le Professeur Barre ( qui cumula un temps les postes de Premier ministre et ministre de l'Economie et des Finances ), le pays est capable d'entendre un message de réalisme et je pense que la crise que nous traversons va démonétiser les jongleurs et autres acteurs de peu de contenu.

 

Il y a un peu moins d'un mois était installé le HCFP : Haut conseil des finances publiques qui a notamment pour mission de veiller au réalisme des prévisions de croissance. Espérons que cet organisme composé de magistrats de la Cour des comptes et d'économistes ainsi que du directeur général de l'INSEE pourra se faire entendre, à bon escient, du pouvoir de Bercy et d'au-dessus.

 

Car en matière de prévisions de croissance, comme l'avait confié un jour Pierre Bérégovoy, il y a toujours un ou deux supérieurs au-dessus du locataire de Bercy, fût-il travailleur et attaché à la sincérité des comptes publics.

 

 

vendredi 12 avril 2013

 

 

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