Les banques et un certain vertige du pouvoir.
Plusieurs évènements d’importance ont marqué et affecté les Etablissements bancaires depuis une dizaine d’années. En l’état actuel de nos informations – forcément parcellaires – il est clair que cette fois il existe un problème bancaire d’ensemble. L’objectif de cette contribution est de rappeler quelques faits marquants et de tenter de situer les localisations des dysfonctionnements. Dans notre esprit, la future loi bancaire annoncée pour l’automne devra avoir de l’ambition telle celle de 1984. Au minimum.
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Les banques sont-elles parties à l’assaut de la raison ? Le citoyen passif ou le décideur d’un certain rang sont en droit de se poser la question de manière aussi franche et aussi abrupte.
La lecture de la presse et des éléments de communication des banques sont pour le moins surprenants voire stupéfiants. Loin du commissaire priseur de Walras ou d’un teneur de criée aux poissons régulant en Bretagne le fonctionnement adéquat d’un marché, les médias nous irriguent d’informations relevant de faits qualifiables de graves. Mais surtout de sérieux.
Quand on y songe, en moins de 5 ans, le grand public et certains économistes réputés auront découvert les excès intrinsèques au métier de trader ( Affaire Barings, Affaire Jérôme Kerviel vs Société Générale ), l’illégalité d’une vente et le conflit majeur d’intérêts ( Vente Adidas et Crédit Lyonnais vs Bernard Tapie ), les questions de blanchiment d’argent ( HBUS, filiale nord-américaine de HSBC ), la contribution active à l’évasion fiscale ( UBS ), la manipulation du taux pivot qu’est le Libor ( Affaire Barclays, etc dont la Société Générale et le Crédit Agricole ), etc. Hélas, il nous faut écrire « etc ».
Chacun conviendra tout d’abord de la taille unitaire de ces égarements et du fait qu’ils concernent des établissements de premier rang. Puis, circonstance aggravante, là où des dispositions semblent avoir été prises ( suites de l’affaire Kerviel ), on découvre néanmoins des problèmes de trading à la fin de 2011 tant pour UBS que pour la vénérable JP Morgan ( près de 10 milliards de dollars ).
Selon notre approche purement technique et non polémique, il y a eu un certain vertige du pouvoir dans certains foyers de décisions bancaires. Il faut convenir que les banques d’il y a vingt ans n’ont rien à voir avec les firmes transnationales significatives que les vingt premiers établissements au monde représentent.
Deux illustrations distinctes : BNP-Paribas et JP Morgan.
En moins de 50 ans ( 46 ans de 1966 à nos jours ) , nous sommes passés d’une fusion franco-française intéressante ( 1966 : BNCI + CNEP ) à des opérations d’envergure : rachat de Paribas en 2000, puis de la banque italienne BNL puis de FORTIS alors en difficulté suite à la crise de 2008 sans évoquer des positions stratégiques en Californie. Tant John Kenneth Galbraith que Bertrand de Jouvenel ou l’ancien ministre communiste Anicet Le Pors ont chacun démontré, à leur façon, que ces concentrations stimulent l’hubris des dirigeants et des structures.
S’agissant de la JP Morgan, suite à sa fusion avec plusieurs établissements dont la prestigieuse Chase Manhattan Bank, elle a été classée première entreprise mondiale dans le classement Forbes 2000 publié en 2011.
Chacun connait la puissance politique et financière des sociétés pétrolières, on peut désormais largement établir un parallèle avec les grandes institutions bancaires qui sont tout aussi indispensable à la bonne marche de l’économie : la crise sans précédent du marché inter-bancaire de 2008 l’a largement démontré.
Cette puissance politique prend parfois des tournures préoccupantes et répréhensibles : la non-information valable et synchrone du régulateur espagnol par la banque Bankia de la réalité de sa situation périlleuse n’est pas du domaine de l’admissible alors même que ce sont précisément des fonds publics qui ont sauvé cette grande banque.
Tels sont les faits marquants qui donnent à penser à la fameuse citation de Cicéron : « Quo usque tandem, Catilina, abutere patentia nostra ? « ( Jusqu’à quand enfin, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? ). Car c’est bien de patience au sens noble du terme dont il nous faut parler.
Démarrons par l’affaire Kerviel actuellement devant la Cour d’Appel de Paris : l’impression est diffuse mais il est clair que l’autonomie du trader pose question au regard de la notion de subordination salariale. Il flotte un vent d’autonomie voire de clair irrédentisme dans ces salles de marchés qui n’existe heureusement pas dans les lignes d’assemblage de l’avion Rafale. On s’est beaucoup focalisé sur les bonus des traders là où nous pensons qu’il aurait mieux valu s’attaquer à un plafonnement des risques que tout un chacun de ceux-ci pouvait faire courir à son établissement.
Des premières déclarations du Président Daniel Bouton à certains entretiens dans les médias, il appert que le top-management d’une grande banque ne maîtrisait que partiellement les rouages d’une salle de marchés. Là encore, un certain vertige du pouvoir a fait porter le regard sur d’autres dossiers et mettre en place des délégations de pouvoirs manifestement hasardeuses. Les récentes déclarations d’importants dirigeants de la JP Morgan sont tout aussi désarmantes. La technologie et l’usage qu’en font certains a dépassé le système de fonctionnement de l’entreprise. Autrement dit, dans le cas du trading, le principe de Peter a frappé les mandataires sociaux de bien des établissements : cette question ne relève pas que de régulation publique mais de gouvernance d’entreprise comme pourrait le démontrer certains travaux fort crédibles de l’IFA ( Institut Français des Administrateurs ).
A l’inverse, s’il pouvait être démontré que les dirigeants savaient et monitoraient « en rênes courtes » les salles de marchés, les arguments du pertinent Maître Jean Veil viendraient à être fragilisés puisqu’alors la responsabilité des dirigeants serait engagée ne serait-ce que vis-à-vis des informations trompeuses données au marché et aux commissaires aux comptes.
Nous pensons davantage au principe de Peter qu’à la théorie trop médiatique et fantasque du complot.
Il n’empêche que les banques persistent à vouloir fonctionner selon des codes de pilotage qui bloqueraient les écluses de Panama et refusent dès lors de traiter les questions de fond, de front. Les pertes de la Morgan recevront tôt ou tard, en justice, une explication qui renverra à la cupidité de certains et à la naïveté d’autres.
Prenons maintenant l’exemple du blanchiment d’argent. En l’état actuel des informations révélées, la filiale d’HSBC aurait contribué à blanchir de l’argent venant de la drogue mexicaine, à réaliser des opérations illicites avec des banques du Moyen-Orient et à contourner l’embargo financier affectant l’Iran. On ne sait plus si c’est un inventaire à la Prévert ou le catalogue de La Redoute mais convenons que cela fait beaucoup : « quo usque tandem…. «
Sur ce sujet précis, tout semble avoir volé en éclats.
En premier lieu, quid des investigations du Gafi ( Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux ) qui est un organisme intergouvernemental instauré en 1989 par le G7 et qui regroupe plus d’une trentaine de pays sans compter sa collaboration technique avec la Banque centrale européenne ?
Faut-il décortiquer les moyens qui ont permis de contourner sa vigilance ou faut-il le considérer comme un « machin » pour reprendre l’illustre formule du Général de Gaulle à propos de l’O.N.U ?
En deuxième lieu, quid des déductions du rapport Montebourg-Peillon sur le blanchiment d’argent et des travaux de François d’Aubert ? Le principe du smurfing ( beaucoup de personnes chargées de disséminer les flux d’argent ), le principe du raffinage ( utilisation de petites coupures moins voyantes ), etc ont été utilisées : « business as usual » ?
Normalement un logiciel assez courant AML ( Anti-Money Laundering ) a un seuil de sensibilité de 10.000 $ : il a su, lui aussi, être contourné. Idem pour les programmes de compliance et le fameux KYC : know your customer.
Concrètement, nous le répétons, les règles ont été contournées ou mises en pièces ce qui, là, posent deux questions : une de responsabilité juridique des auteurs de ces délits, une de refonte de la lutte antiblanchiment. Ce qui vaut par-delà l’Atlantique vaut-il dans l’hexagone ? De quelle épaisseur de blindage dispose la cellule TRACFIN face à ces nouvelles voies de contournement des Lois ?
L’affaire Clearstream, révélée par les travaux de Denis Robert et Ernest Backes, ( distincte de l’affaire entre Messieurs Sarkozy et de Villepin ) avait déjà montré les libertés que la finance s’octroyait avec les règles.
Autant dire que la prochaine loi bancaire, programmée à la session parlementaire d’automne, devra être fondatrice comme le fût celle de 1984 inspirée et analysée en son temps par l’éminent Olivier Pastré.
S’il s’agit de se contenter de séparer les banques de détail des banques d’investissement, cela nous renverra au Glass Steagall Act des années 30 de Franklin Delano Roosevelt et aussi aux écrits préalables ( nous soulignons préalables ) d’Henri Germain, puissant directeur du Crédit Lyonnais il y a exactement un siècle.
Cela peut être constructif mais certainement en retrait des besoins que l’ordre public impose. Oui, lorsqu’un secteur s’émancipe à ce point, et aussi vertement, des lois et règlements, il y a manquement à l’ordre public et le vertige du pouvoir ne peut perdurer que s’il est inscrit dans la légalité.
Dans une contribution relative au Libor, nous avons rappelé que ce sont des dizaines de bilans qui sont de facto frappés d’inexactitudes à partir du moment où le poste de l’endettement bancaire est représenté par un chiffre inexact du fait des manipulations du taux de référence. Si nous avions vu cela dans un film d’Oliver Stone ( Wall Street ) ou de Michael Moore, nous ne l’aurions pas cru.
On se souvient de la fin houleuse des discussions entre Madame Aubry et Jean Gandois sur les 35 heures où celui-ci avait lancé son fameux : « J’ai été berné ».
En conscience, combien d’auditeurs internes, de déontologues, de commissaires aux comptes voire de membres de l’Autorité de Contrôle Prudentiel pourraient reprendre cette exclamation ?
Quand on songe à l’ampleur pécuniaire de ses fraudes sur le Libor qui resteront à jamais impossibles à évaluer finement, une autre phrase de Cicéron – auteur plus respectable que certains banquiers contemporains – s’impose à la pensée : « Quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? «
Jusqu’où ton audace effrontée se déchaînera-t-elle ? Oui, cher lecteur, jusqu’où iront-ils aveuglés par un certain vertige du pouvoir ?