Partir ailleurs : le rêve grandissant des jeunes Français
La tendance est désormais de plus en plus nette. Bien des jeunes Françaises et Français veulent partir ailleurs : autrement dit, s'expatrier pour mieux travailler. Quelle grille de lecture peut-on retenir pour comprendre leurs motivations ? Ont-ils tout simplement raison ?
1 ) Un vrai flux de départs pour cause d'exil fiscal :
Pour des raisons de strict calcul fiscal, diverses personnalités – dont l'emblématique Gérard Depardieu – ont décidé de quitter l'hexagone qu'elles jugent irrespirable. La mondialisation aidant et le principe de liberté de circulation des hommes et des capitaux étant ici en symbiose, notre pays a clairement vu un flux de départs difficile à chiffrer mais qui se compte en milliards d'euros de transferts de richesses. Certaines déclarations ministérielles assez inouïes et la fameuse règle des 75% tant voulue par le candidat devenu Président ont largement contribué à cet exil voire exode fiscal.
Pour simplifier, quand l'âge est venu et que le patrimoine est cossu, la direction se situe vers la Suisse ou la Belgique. Quand on veut entreprendre, car l'âge n'est pas le même, c'est le Royaume-Uni qui a la puissance d'un aimant.
Le plus inquiétant est que ce phénomène dure depuis plus de 20 ans, de manière irréversible et croissante. Ainsi bien des sources rapportent des mouvements d'expatriation : les notaires et les agences immobilières ont enregistré sur les 18 derniers mois une hausse de plus de 50% des ventes de biens immobiliers de plus de 2 millions d'euros. De même, les motifs de déscolarisation en cours d'année en France se retrouvent, par symétrie d'encombrement numérique, dans la complexité actuelle de scolariser un enfant à Londres.
2 ) En regardant par le prisme d'une grille d'analyse économique :
Prenons donc une grille d'analyse économique. Les départs massifs – toutes générations confondues - sont un manque à gagner au plan macroéconomique pour un pays qui perd ainsi de ses forces vives : pertes de consommateurs, pertes de recettes fiscales, pertes de talents, etc.
Puis, il ne faut pas oublier que ces départs sont une liberté et une opportunité au plan microéconomique : le jeune citoyen ( ou citoyenne ) français est fort heureusement libre de ses mouvements et peut décider comme il l'entend d'aller chercher autre chose ailleurs. Initialisé par les échanges universitaires et le programme européen Erasmus, notre jeunesse s'est ouverte au monde et ceci est incontestablement bénéfique.
Toutefois, au plan sectoriel, c'est à dire mésoéconomique, la situation peut être plus préjudiciable en privant de jeunes compétences des professions importantes pour un pays comme le nôtre : secteur de la santé, ingénieurs spécialisés, etc.
Cette grille d'analyse économique est valable mais trop réductrice car il faut la croiser avec d'autres éléments d'information qui viennent des trois niveaux évoqués ci-dessus.
3 ) Une fiscalité répulsive et un délaissement des entrepreneurs :
Tout d'abord, par une politique fiscale peu incitative ( et vécue comme confiscatoire ), la France perd des talents de futurs grands managers ou, pire encore, d'entrepreneurs. Sans aller jusqu'à dire que la fiscalité de Messieurs Hollande et Moscovici va faire s'expatrier l'équivalent français d'un Steve Jobs, d'un André Citroën ou d'un Jean Bertin, force est de constater que nombre de jeunes entrepreneurs préfèrent traverser l'Atlantique. Ces jeunes n'ont pas l'immaturité de penser que " l'herbe est plus verte dans le pré d'à-côté", ils sont simplement avisés et font reposer leur décision de sortie du territoire sur un calcul économique et sur leurs probabilités comparées de réussite.
Dans une interview récente, le tonique Philippe Bourguignon ( ancien président du Club Med et d'Accor ) expliquait à quel point il est aisé d'entreprendre aux Etats-Unis. Il ajoutait – un peu amer pour notre pays - sur BFMtv ( 11 mai ) : " les entrepreneurs français doivent être encore plus forts que les autres tellement il y a de contraintes ". A ce jour, les chiffres fiables sont indisponibles mais il y a peut-être un jeune entrepreneur sur trois qui quitte l'hexagone au profit de Londres ou des Etats-Unis voire de Hong-Kong ou Shanghai. Du fait de la faible attention portée aux start-up ( où est le fameux Small Business Act à la française tant promis ? ) et aux conditions concrètes de l'entreprenariat, notre Nation est confrontée à une forme d'exode pour cause de fiscalité répulsive.
La Fondation Concorde a ainsi récemment indiqué que 3% des 2 millions d'expatriés sont des chefs d'entreprises qui comptent plus de dix salariés. En recourant à une série longue, ce think tank en déduit que ce sont des milliers d'entreprises qui ne se sont pas constituées en France pour un préjudice total de plus d'un million d'emplois en 20 ans.
Ce manque à gagner fait cruellement défaut à notre pays surtout que des études sectorielles montrent que ces entreprises étrangères tenues par des compatriotes appartiennent à des secteurs le plus souvent innovants.
D'autre part, un article récent ( Le Monde, 3 avril 2013 ) rapporte que les expatriés français passent de plus en plus vite sous contrat de travail étranger ce qui traduit clairement l'intensité de l'envie de s'implanter durablement.
4 ) L'ailleurs est forcément meilleur ?
Puis, diverses études sociologiques et sondagières rapportent que bien des jeunes trouvent assez " ringard " de rester en France et veulent donc aller chercher autre chose ailleurs. Ce n'est pas forcément l'argent et le goût de la réussite ( issu d'un " killer instinct " ou d'un hubris surdimensionné ) mais l'envie d'appartenir à un pays davantage pionnier qu'ankylosé.
Le Canada ou l'Australie, le Brésil suscitent des appétits que ne déclenchent plus le Poitou, les monts du Lyonnais ou les images du Trocadéro. Cette idée d'une France statique où tout est difficile à faire se mouvoir est un défi politique et collectif. Chacun sait en effet qu'il vaut mieux avoir 40 ans que 55 ou 25. Notre pays a effectivement un marché du travail qui implique une trilogie de carrière ( entrée, milieu, sortie ) dont le premier et le dernier termes sont souvent des épreuves. A tout prendre, un jeune préfère s'expatrier que de rebondir de stage en stage avant de trouver – enfin – un hypothétique CDI. ( exemple des métiers de bouche ).
L'ailleurs, lorsqu'on a moins de trente ans, parait souvent meilleur.
"Ici, c'est autre chose que loin, c'est ailleurs " s'est exclamé Jean Giono ( L'iris de Suse ).
5 ) La planète est leur village !
Fiscalité, goût pour l'entreprise, crainte de l'ankylose sociétale, discriminations à l'embauche sont quatre leviers explicatifs de l'exil en cours de nos jeunes diplômés mais aussi des jeunes travailleurs manuels. A ces quatre paramètres viennent s'ajouter d'autres facteurs tels que le développement des jobs autour de l'humanitaire ( Kosovo, Afrique, etc ) ou la quête d'une fierté d'appartenance et la volonté d'être dans une communauté professionnelle aux frontières ouvertes : exemple des financiers français de Singapour.
L'envie de servir des plus démunis explique des départs tout autant que l'envie dese constituer un pactole. En fait, à cette génération, il faut être aveugle ou bête pour ne pas comprendre que la planète est leur village. De la même manière que nos grands chefs ouvrent avec succès des restaurants au Japon, les jeunes veulent ouvrir les fenêtres et partir à la recherche de frissons que le pays natal ne sait plus donner avec vigueur.
Interrogé par des étudiants en fin de scolarité sur l'idée d'un départ, je leur réponds que – bien préparé – c'est toujours une opportunité et qu'ils verront après quelque temps s'ils restent dans leur nouvel univers de vie ou si leur pays, famille, amis initiaux leur manquent. Un point doit être ici révélé : je ne dissuade que ceux que j'estime éventuellement vulnérables.
Au-delà de cette réponse à leur questionnement, on ne peut s'empêcher de constater que de très bons éléments quittent notre territoire et lorsque nous prenons un café non loin de leurs lieux d'études, le temps de leur lire une phrase fait sens : " La vie n'est pas ce que tu crois. C'est une eau que les jeunes gens laissent couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme des mains, ferme des mains, vite. Retiens-là. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu'on grignote, assis au soleil ". Jean Anouilh, " Antigone ".
La jeunesse d'aujourd'hui est vite mûre et sait promptement apprendre à fermer les mains. L'eau de la vie est une notion qu'elle visualise mieux et probablement plus finement que ces aînés mais il est clair qu'elle veut vivre sous d'autres rayons du soleil que ceux qui inondent Biarritz ou Saint-Martin de Ré.
Oui, les jeunes découvrent la frugalité en songeant à l'eau de la vie et sont souvent plus raisonnables qu'on ne le pense. Pendant que la France épèle – quant à elle -, en les perdant, le dangereux mot d'hémorragie.