02/10/2012

Grappes de réussite et choc fiscal en France

La crise est là et commence à frapper fort : dès lors, nombre de décideurs et de citoyens en viennent à noircir le tableau d’un noir ébonite digne des téléphones des années 60. En fait, la présente contribution appelle à plus de discernement dans la lecture des données macro-économiques dont nous disposons. Ce qui n’empêchera pas de faire part de nos inquiétudes face au futur choc fiscal de 2013.

Grappes de réussite et choc fiscal en France

Grappe photonique

La segmentation sectorielle traditionnelle et sa redéfinition jamais achevée :

Dès 1946, l’économiste Colin Clark a effectué une distinction largement admise en isolant le secteur primaire ( agricole ), le secteur secondaire ( industriel ) et le secteur tertiaire ( les services ). Plusieurs études réalisées en Sorbonne ou à la Fondation Banque de France ont démontré que cette distinction trinitaire était largement à manier avec précaution. Ainsi, le taux de machinisme agricole ( coût des engins rapportés aux coûts totaux d’exploitation de l’unité ) nuance la pureté de notion de secteur agricole. De même, dans le secteur industriel, on relève des activités de services ( paye, bureaux export, appareil commercial y compris à l’étranger ) qui font que la notion de secteur industriel n’est plus aussi chimiquement pure que lorsqu’André Citroën fabriquait ses automobiles le long du Quai de Javel.

L’INSEE tente bien de redéfinir un détourage pertinent mais la tâche est ardue car chaque situation est un cas d’espèce. Nous retiendrons donc ici, faute de mieux, la distinction de Colin Clark.

 

Le secteur agricole :

Venant du Morvan, nous savons que la terre est rude et qu’il est rare d’y faire fortune. La viande est en crise, les céréales subissent des aléas et le lait est acheté dans des conditions âpres. Autrement dit, cela ne signifie pas que la France va dans le mur mais que des négociations doivent s’imposer. S’agissant du lait, tout le monde connait la qualité des bilans des grands groupes de l’agro-alimentaire ( de nos champions nationaux ) et le prix final en grande distribution. Sous prétexte d’une lecture excessive du principe de la liberté des prix posé par l’éminent René Monory en 1978 et sous prétexte de règlements spécifiques dénués de boussole, on met à genoux des milliers de producteurs face à des distributeurs-transformateurs dont certaines filiales sont des pépites pour les analystes financiers.

Sur ce premier sous-thème, on peut regarder les chiffres de fermeture des exploitations laitières et les taux de suicide véritablement impressionnants et dire que la modernisation est un processus de sélection naturelle. On peut aussi, comme le fera peut-être le Ministre Le Foll, reconstituer la notion de filière et détecter les points de sur-marge. Sur ce sujet, il y a attente de régulation étatique plutôt que de propos désespérés de fins de comices agricoles avec le sempiternel discours pseudo-volontariste du Sous-Préfet.

La remarque vaut pour la viande. Sans heurter quiconque, il y a un ratio épouvantable à déterminer : d’un côté le nombre de suicides d’éleveurs et de salariés de France Telecom et de l’autre les populations totales concernées. Ne voulant pas, par respect des souffrances des proches des disparus, vous soumettre notre chiffrage, nous laissons le lecteur intéressé à sa propre calculette. La rigoureuse lucidité vous met sur la piste du différentiel de ratios ce qui démontre que nous sommes désormais dans une société où la souffrance sociale géographiquement diffuse est inaudible au regard des groupes et syndicats qui ont accès aux médias.

Bien sur, nous comprenons le discours entrainant de Pascal Lamy sur les vertus de l’OMC mais lorsque dans un rayon surgelés de viande, nous ne pouvons choisir qu’entre l’Argentine et la Hongrie et que zéro emplacement est dédié à nos productions nationales, n’y-a-t-il pas un excès inverse et une mondialisation presse-citron ?

Toujours dans le secteur primaire, il convient d’effectuer trois observations. Tout d’abord, hors problème sérieux de l’approvisionnement en eau des cultures ( défi croissant ) , les rendements continuent de s’améliorer et les moissons se font sur tracé centimétrique grâce au GPS embarqué. Ainsi, notre agriculture continue d’être à des niveaux de performances exceptionnelles rapportées per capita. De surcroît, les agri-managers ont fait de véritables efforts de formation et nombre d’entre eux vendent directement, via internet, leurs récoltes suivant les cours en cotation continu sur les marchés mondiaux. Enfin, bien des exploitants ont fait un pas vers la transformation de leurs produits et ainsi gagner en marges.

Répétons-le, au moins un tiers du monde paysan a quasiment la tête sous l’eau et vit des situations financières et humaines intenables. Mais, à côté, il existe un renouveau rural et des foyers de rentabilité, des grappes d’avenir, que l’on ne saurait négliger : dans ce secteur, oui, la France a ses chances.

 

Le secteur industriel :

Si l’on prend un livre sérieux d’histoire économique de l’après-guerre, on peut lire que l’Allemagne détruite a su rebâtir un appareil productif moderne et performant ( avec l’aide nord-américaine ) là où les vieilles Nations ont recouru à des méthodes finalement moins productives. De nombreux ouvrages pointent ainsi la politique du patronat français qui a été chercher dans les fins fonds de nos colonies d’alors des travailleurs peu qualifiés et corvéables. Principalement en Afrique du Nord.

Suite à la crise de 1973, la productivité par tête est devenue une variable suivie par les managers et ainsi l’hémorragie industrielle, en termes de main d’œuvre, a commencé. Dans les Assises de l’industrie de 1982 présidée par Jean-Pierre Chevènement ( et déjà épaulé par l’inoxydable Louis Gallois en tant que Directeur général de l’industrie ), il fut dit que près de 700.000 emplois industriels avaient été détruits entre 1972 et 1982.

On connait l’amer constat présent : près d’un million d’emplois industriels ont été perdus sur la dernière décennie.

A ce stade, il y a deux diagnostics possibles et probablement complémentaires. D’un côté, on peut dire que l’économie française est « efficace » et qu’elle a cherché, par la variable d’ajustement de l’emploi, à améliorer sa compétitivité. C’est probablement exact comme en atteste le partage de la valeur ajoutée. Mais à l’inverse, on peut avoir une lecture plus sombre et conclure que nos pertes de marchés ( crise commerciale, restriction des débouchés ) ont obligé les industriels à licencier des surplus de travailleurs qui ne demandaient qu’à rester dotés d’un matricule.

Dans le cas de l’acier ( avant la fusion qui devait donner naissance à Arcelor ), il est clair que la fin des années 80 ont conduit à des vagues de restructuration très dures, gages de l’avenir. Or que constate-t-on ? L’Europe n’a pas su défendre son champion tri-national et désormais le groupe Mittal développe un jeu d’optimisation planétaire au détriment de Gandrange ou autre sites performants.

Dans le secteur secondaire, nous avons un risque de déclassement de nos produits ( rapport qualité-prix insuffisant, innovation plafonnée, etc ) mais nous avons aussi un risque de voir nos champions nationaux happés par des OPA en deuxième semestre 2013 lorsque les résultats – médiocres – de 2012 donneront mécaniquement des valorisations attractives.

Que se passera-t-il s’il s’agit de L’Air Liquide ou de Danone ?

Combien d’emplois Mittal a-t-il crée sur le sol français depuis son OPA réussie sur Arcelor ?

S’interroger sur la compétitivité ( via la TVA ou la CSG ) est une nécessité qui ne saurait dispenser de renforcer le droit des OPA français et surtout les obligations post-acquisitions des acquéreurs.

De multiples entreprises sont superbes ( Faiveley, Groupe Soufflet, etc ) : soyons lucides et évitons que ces fleurons ne deviennent la proie de groupes venus des pays émergents alors même que plusieurs plaquettes annuelles de ces groupes écrivent noir sur blanc leur volonté d’expansion capitaliste vers l’Europe dans leurs plans à trois ans.

Pour l’heure chacun sait que les chefs d’entreprise réduisent la voilure : carnets de commandes érodés ou incertains, contraintes de trésorerie, vision keynésienne où la prudence l’emporte quand la demande anticipée est d’un niveau médiocre.

Cela va générer un chômage additionnel que nous avons posément estimé à 350.000 personnes sur la période allant de septembre 2012 à septembre 2013.

 

Le secteur tertiaire :

Il présente une vision contrastée entre des jeunes pousses dont il sortira peut-être demain de belles PME et des poids lourds ( banques, assurances ) que le nettoyage des bilans va plus qu’inciter à émettre des plans sociaux d’autant que bien des analystes savent que des dossiers complexes trainent sous certains tapis.

Le tertiaire en France est notre chance dans des tas de sous-secteurs ( logiciels, ingénierie financière, etc ) mais il ne saurait échapper au climat ambiant des affaires et notamment au futur coup de fouet fiscal de l’année prochaine.

 

L’alourdissement fiscal de 2013 :

Pour des raisons connues du lecteur, l’Etat est en quête de plus de 30 milliards et a effectué un partage égalitaire : 10 milliards pour les ménages ( ce qui va altérer la consommation et donc l’activité ) , 10 milliards por les entreprises ( dont le détail est encore méconnu ce qui n’est jamais bon signe ) et 10 milliards d’économies au sein de l’Etat ( à rapporter aux 294 milliards de charges nettes votées pour 2012...)

A ce stade, plusieurs points d’analyse s’imposent.

Tout d’abord, le 13 Septembre, l’Institut IFW a réduit la prévision de croissance pour l’Allemagne en 2013 de 1,7% à 1,1%.

Parallèlement, nous connaissons le contexte récessif accentué de nos voisins : Espagne, Italie.

Selon nous, il s’agit d’une tragique méprise ou d’une insulte à notre intelligence collective que d’oser avancer le chiffre de 0,8% de croissance du PIB en 2013.

Bien des économistes de banque savent que le « vrai » chiffre sera en-dessous avec pour conséquence de devoir trouver 10 à 15 milliards additionnels pour tenir nos engagements européens.

Soit une ponction de près de 50 milliards.

Comme l’a écrit notre regretté ami le Préfet de Région ( et Trésorier-Payeur Général ) Claudius Brosse dans « L’Etat dinosaure » : « Mais si, sous la IIIème République, l’Etat absorbait un quart des revenus des Français, sous la IVème République, c’est le tiers qu’il prélevait, aujourd’hui, c’est la moitié qu’il retire au revenu national. Or à l’évidence, les Français n’ont pas envie de vivre sous un régime politique ressemblant à l’Egypte pharaonique ou à l’Empire des Incas. »

Effectivement, la répartition tripartite ( 10 milliards d’efforts pour chacun ) laisse pantois quant à l’effort étatique d’autant que la crise va altérer ces dispositions ( voir dégradation d’un milliard d’euros des comptes de la Sécurité sociale ) en augmentant le coût des amortisseurs sociaux et en érodant les rentrées fiscales.

Dans le « champ des Partisans », il est dit «  Ami entends-tu le chant lourd du pays qu’on enchaîne ! »

Oui, cette ponction de dizaines de milliards sera probablement réalisée.

Oui, à la mi-2014, les chaînes de l'économie risquent d'étreindre le pays : le nombre de défaillances d’entreprises, la paupérisation d’un nombre croissant de ménages, l’impact sur la croissance, les risques de délocalisation, les tentatives d’OPA risquent d’être le miroir tendu à notre Nation.

Un autre panachage de l’effort selon un autre calendrier était envisageable : il aurait évité de voir des corbeaux noirs venir picorer les grappes de réussite qui existent dans notre pays : ces grappes qui sont notre futur et l’avenir des jeunes générations elles aussi bousculées sèchement par la crise.

Moins d’une dizaine de hautes personnalités ont décidé de ce qui précède : formons vivement le vœu que les calculs d’impact macro-économique aient été réalisés avec minutie et démarche accorte.

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