Prenez vraiment garde à vos créances !
Prenez vraiment garde à vos créances !
L’état de croissance zéro déjà enregistrée et la perspective hélas très plausible d’une récession en 2013 vont mécaniquement augmenter le nombre de faillites d’entreprises. En y regardant de plus près, ces faillites vont s’avérer de plus en plus nocives ce qui va donc supposer de la prudence en gestion de créances.
Les directeurs financiers le savent fort bien : la marge sur un contrat avec un client x peut être anéantie par un impayé sur un client y. Des mesures de prévention – notamment le système du plafond d’en-cours- sont presque toujours prises afin de parer l’occurrence d’un sinistre.
Il faut toutefois constater que la crise alourdit les risques dans une triple dimension ( 1 ), que l’imbrication des firmes rend plus fréquent l’effet-domino ( 2 ) et que notre système législatif demeure perfectible (3).
1 ) La crise alourdit les risques dans une triple dimension :
Tout d’abord, la crise que nous traversons va fragiliser les carnets de commandes, les conditions du crédit inter-entreprises, les délais de paiements et la trésorerie nette de milliers d’entreprises à un moment où les banques pratiquent un resserrement du crédit ( « credit crunch » ) et une sélectivité qualifiable d’outrancière au regard des conditions de leur refinancement auprès de la BCE.
Alors que le volume de faillites oscille autour de 60.000 par an ( 63.204 en 2009, 60.773 en 2010, 59.535 en 2011 ) et concerne un peu moins de 200.000 emplois ( 186.000 en 2011 ), différents experts s’attendent à une augmentation sérieuse du nombre de sociétés en difficulté : de l’ordre de 65.000 voire 70.000 selon certains analystes bancaires.
La crise va donc avoir un effet sur le nombre de faillites mais surtout – et c’est un point véritablement préoccupant – sur la taille des entreprises concernées. Dans une étude de la COFACE datant de juillet 2012, il est démontré que le nombre de grandes entreprises concernées par les défaillances a augmenté de près de 12% ( voir références jointes de cette importante étude en bandeau latéral de cette contribution ).
Mécaniquement, tout un chacun mesure l’ampleur de la nouvelle donne : des faillites plus nombreuses, issues de firmes plus grosses. Autrement dit, un total de créances concernées nettement plus imposant que par le passé. Pour bien des fournisseurs pris dans un dépôt de bilan, ce volume de passif ne passe pas sans provoquer des dégâts.
2 ) L’imbrication des firmes rend plus fréquent l’effet-domino :
Ces dégâts précités vont parfois jusqu’à embarquer dans la procédure de défaillances des fournisseurs qui étaient pourtant en situation globalement saine.
En remontant dans le temps, il faut se souvenir de l’onde de choc de l’effondrement de l’empire Boussac. Plus récemment, la défaillance du groupe Doux a entraîné dans sa chute des dizaines d’aviculteurs, des sociétés de camionnage et autres.
On touche là le côté particulièrement délicat de l’avant dépôt de bilan où le client ( le donneur d’ordres Doux ) peut exiger de ses fournisseurs dépendants ( aviculteurs ) de continuer à le livrer malgré des en-cours importants.
Le piège est simple : face à ses charges fixes d’entrepreneur, le décideur n’a guère le choix que de continuer à honorer les commandes faute de voir dépérir son exploitation.
Symétriquement, cette obligation commerciale de bon sens est en fait un risque inconsidéré quand on sait que l’on ne récupère, en France, qu’à peine 20% du montant de sa créance produite en cas de redressement judiciaire.
Il faut donc cultiver deux mots qui ne s’aiment pas : audace et prudence.
Cela étant, le chercheur François Morin ( qui avait remis en 1999 à D.S.K alors Ministre des Finances un rapport sur la structure du système capitaliste français ) a montré – ainsi que d’autres économistes – que l’imbrication des firmes était de plus en plus forte et que l’on devait raisonner en termes de filière.
L’exemple des emplois induits autour du sinistre de la Camif à Niort l’a montré comme celui de Doux ou de Manufrance autrefois : l ‘effet-domino est une réalité incontournable et pénalisante.
Au demeurant, le développement des cabinets de recouvrement ou des sociétés d’affacturage démontrent l’angoisse croissante des dirigeants face au risque de « se faire planter un drapeau ».
3 ) Un système législatif perfectible :
En premier lieu, très peu de dirigeants faillis sont poursuivis sur le fondement juridique de la notion de « poursuite d’activité alors que la situation est irrémédiablement compromise ». Ainsi, nous pensons que dans bien des cas le dirigeant en difficulté y croit encore et continue au-delà du raisonnable ce qui ne fait qu’augmenter son passif fournisseurs et bancaire. En continuant de monter à l’échelle, il contribue objectivement à léser les intérêts d’autrui. Si l’on prend le temps d’analyser les jurisprudences, on constatera que la notion précitée est peu utilisée ce qui n’est ni efficace ni pédagogique pour le reste des chefs d’entreprise en situation délicate.
En deuxième lieu, rares sont les actions pauliennes qui aboutissent et que l’article 1167 du Code civil instaure. Rappelons que l’action paulienne consiste pour le créancier à faire révoquer en Justice les actes que son débiteur a accomplis en fraude de ses droits et qui lui portent un préjudice clairement établi. A l’heure où il est beaucoup question d’entrepreneurs pigeons ( #geonspi ), cela consiste à dire que faute d’information ou de temps, les colombes prises dans un dépôt de bilan se laissent avoir par des faisans parfois professionnels de la chose. ( Jean-Charles Corbet et le dramatique dossier Air Liberté ).
En effet, en troisième lieu, on ne doit pas passer sous silence qu’il existe des virtuoses des procédures collectives et des dépôts de bilan en cascade. Récemment un Procureur Général – dans une grande ville du Grand-Ouest – a découvert dans un dossier que la compagne d’une personne interdite de gérer pour dix ans s’occupait précisément de gérer une affaire à titre de prête-nom. Là encore, sans sombrer dans le tout répressif, il devient insoutenable qu’une poignée de milliers d’indélicats participent aux 4 milliards de créances ( 3,9 pour être précis ) que pèsent les défaillances d’entreprises dans notre pays.
Donner plus de moyens juridiques aux créanciers est possible – à législation constante – mais nous le savons tous, l’entreprise confrontée à un dépôt de bilan de son client appelle trop vite son service financier pour activer la ligne « Créances irrécouvrables » du Plan comptable.
Si la prudence est difficile à calibrer, il nous semble que trop souvent le fatalisme voire le défaitisme jouent un rôle d’aimant dans la pensée du créancier.
Selon certaines études en cours de la Banque de France, la crise devrait accentuer les passifs en 2013 : que chacun – avec une règle graduée et une main ferme – prenne garde à ses créances. Quantum valeat. ( à toutes fins utiles ).