L'avocat d'affaires : le vent en poupe.
Dans bien des sociétés, même pour de modestes dossiers, on aperçoit la silhouette généralement étudiée et élégante d'un avocat d'affaires. Par-delà l'esthétique, des questions sérieuses se posent : quels sont leurs apports ? quelle est leur capacité de suivi des évolutions de leurs clients ? quels indicateurs de performances peut-on valablement leur appliquer ?
Dans l'imagerie d'Epinal, l'avocat d'affaires est posé comme parisien et cher : il ne déjeune – à raison – que dans de grands restaurants tel le toujours accueillant Lasserre et sous-traite une large partie du dossier à un collaborateur dont l'expérience a le poids d'une délicieuse pomme de terre soufflée du restaurant précité.
Mais d'Epinal à la Cour d'Appel de Paris, il faut chausser ses bottes de sept lieues et revenir à la hauteur du plancher des vaches.
Non, tous les dossiers ne sont pas tenus par le dernier entré dans le cabinet.
Non, tout ne se passe pas autour d'un Margaux de belle année sans travailler auparavant.
Le métier d'avocats d'affaires souffre objectivement de caricatures préjudiciables à son exercice et les bâtonniers devraient avoir cette question davantage présente à leur agenda.
Première idée, la tendance à la judiciarisation de la vie économique et commerciale est un fait que le Président Canivet a souvent rapporté voire stigmatisé.
Ainsi, le moindre contrat peut-il être soumis à conflit interprétatif et à saisine judiciaire.
Cette judiciarisation, d'origine apparemment anglo-saxonne, est une réalité qui touche tous les barreaux. Elle contribue à alimenter le volume d'affaires des avocats commercialistes et ne semble pas en voie de ralentissement.
Premier élément du vent en poupe pour des cabinets aussi réputés que Jones Day ou Gide Loyrette.
Deuxième élément, l'inflation législative et son impact sur la stabilité des situations juridiques. Tout le monde dénonce cette inflation mais nul ne sait quel remède concret y apporter à commencer par les magistrats du Conseil d'Etat confrontés à une pluie de rédaction de décrets d'application rendue encore plus délicate par la présence supra-normative de textes européens.
Troisième élément, l'avocat d'affaires est désormais présent à tous les stades de la chaîne d'exploitation de l'entreprise. Fusions-acquisitions ? il est présent bien évidemment ( voir Bredin Prat ). Opérations et financements immobiliers ? Présent ! ( voir Salans ). Propriété intellectuelle et droit des marques ? Présent ! ( voir Clifford Chance ). Arbitrage contentieux ? Présent ( voir Freshfields ). Droit social ( voir Jean-Pierre Mignard ). Droit de l'environnement ( voir Huglo Lepage ). Droit fiscal ( ReedSmith ). Droit boursier ( Georges Berlioz ).
A cette liste de présents, nous ajoutons le cabinet August & Debouzy en ayant une pensée toujours émue pour le décès de notre camarade de promotion et ami Olivier Debouzy.
Jeune stagiaire de l'E.N.A, il s'était fait remarquer à Pau lorsqu'il avait reçu pour instruction d'expliciter un plan de circulation à Lourdes pour la venue de Jean-Paul II. Un peu lassé par les questions de sens unique et autres aménagements, il avait osé dire à la presse : " C'est comme çà, les voies du Seigneur sont impénétrables ".
Autrement dit, être avocat d'affaires ne dispense pas d'auto-dérision contenue et d'humour de bon aloi. Oui, Olivier ton style nous manque ainsi qu'à des magistrats qui te respectaient. Tout comme François PLASSOUX, inexorablement parti avant 40 ans, vers l'Espérance ( Cabinet Denton & Co ).
Quatrième élément, l'avocat d'affaires a un rôle dans la procédure ( auxiliaire de justice ) et comme l'a dit Maître Georges Izard dans son discours de réception à l'Académie Française prononcé fin Septembre 1973 alors que la notion de justice disparaissait du Chili d'alors : " Le but de la plaidoirie est de convaincre. Sa règle suprême est la clarté, son idéal de constituer un enchaînement si limpide, un système si logique, un examen et une réfutation si complets des objections, que ce flot de continuité roule dans l'esprit des juges et n'y laisse aucune place pour une opinion contraire ".
Mais fort de notre expérience, nous observons que les avocats d'affaires talentueux sont ceux qui ne vont pas jusqu'à la plaidoirie et savent trouver un gentleman agreement en amont pour le plus grand bien des deniers et de la tranquillité d'esprit de leurs clients.
Savoir construire une négociation entre les parties est un art qui requiert plus de sagacité que d'enfoncer son client dans une procédure multi-dimensionnelle et étendue dans le temps.
On peut se vouloir le tempétueux Gilbert Collard, il n'est pas dénué de sens d'être le subtil Olivier Metzner....
Cinquième élément, l'avocat d'affaires est un agent mutagène dans bien des firmes où ses conseils valent ceux d'un mandataire social à la fois en pertinence et en retentissement.
Combien de chefs d'entreprise du CAC 40 se rendent-ils dorénavant avec leur avocat lors de meetings importants ?
Combien d'heures d'avocats ont-elles été dédiées aux négociations relatives au départ de feu Philippe Jaffré ( ELF ) ? Idem pour Jean-Marie Messier ( Vivendi ).
Là encore, l'avocat d'affaires a le vent en poupe et son rôle ne se limite pas aux " montages en droit des sociétés " ( Jean-Philippe Dom, Joly ) : il est inséré dans bien des rouages de décision.
Sixième élément, le métier d'avocats d'affaires est attractif et se féminise progressivement comme l'a montré avec un succès éclatant Madame Christine LAGARDE lorsqu'elle était aux Etats-Unis.
De surcroît, il n'est pas un point invariant : un ancien maire de Neuilly Sur Seine et un ancien élu de Chicago sont la démonstration qu'avocat un jour, président quelques milliers de jours.
Sur ce terrain, souvenons-nous qu'un élu célèbre du Morvan était un ancien avocat.
On lui prête une formule célèbre : " pour le droit, j'ai Badinter, pour le tordu, j'ai Dumas " digne de son éloquence et probablement teintée de véracité.....
A ce sujet, l'ouvrage de Thierry Lévy et Jean-Denis Bredin ( Convaincre ) dédié à l'éloquence est une lecture gourmande et enrichissante qui rappelle – notamment - la brillante plaidoirie de Maître Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1962 pour la défense du Général Salan.
Si le métier a le vent en poupe comme nous l'avons établi, il faut garder en mémoire des cas de figures où l'Histoire ne permet pas à l'avocat d'exercer valablement ses fonctions.
Deux exemples significatifs méritent d'être rapportés : le cas du constructeur de camions Berliet et ses déboires juridiques après la Libération : ceux-ci s'étalèrent jusqu'à 1949 date à laquelle la famille pût retrouver la plénitude du droit de propriété de l'entreprise.
L'autre exemple fait honte à notre belle Nation : il s'agit de la question des spoliations de biens juifs ( voir Commission présidée par Jean Mattéoli ) dont l'exemple le plus visible est réservé à la famille Camondo. Quand on entre dans ce ravissant musée Nissim de Camondo, on croit entendre les voix de personnes qui ont servi la France ( pilote de chasse pendant la première guerre mondiale ) et on a le sentiment indigeste ( pour ne pas écrire plus ) d'être là comme par effraction.
Alors que la France réfléchissait sur la dépénalisation du droit des affaires suite au Rapport de l'estimé Sénateur Philippe Marini ( Modernisation du droit des sociétés ), nos amis suisses se lançaient dans la délicate question des avoirs bancaires non réclamés : ce dossier a occupé bien des avocats d'affaires helvètes ce qui démontre que ce métier a le vent en poupe mais est aussi à la proue d'un navire nommé : Justice devant l'Histoire !