L'Etat Dinosaure de Claudius BROSSE
Hommage à Claudius BROSSE, ancien Préfet de Région
Par la présente, nous écrivons un hommage à valeur de lettre ouverte à un camarade et à un ami de près de deux décennies. Cet ami a été frappé, subitement, par un accident de santé et sa vie n'a plus été tout à fait la même qu'auparavant. Elle s'est arrêtée en 2011.
Comme ses proches, j'y vois une injustice car il allait commencer une séquence de semi-retraite bien méritée sous le soleil de la Drôme. Comme ses proches, bien de nos projets communs se sont évanouis à commencer par celui d'écrire un livre à quatre mains.
Notre rencontre fût inopinée lors de la visite des rotatives de Roissyprint appartenant au Figaro. Le Préfet de Région honoraire avait une vivace curiosité d'esprit et nous avons fusionné, ce soir-là, nos curiosités. Très vite, nous avons détecté que nous avions des amis en commun et avons décelé nos points de convergence dans l'analyse de certains hommes de pouvoir.
Lorsque l'ami Claudius Brosse sentait qu'il m'impressionnait, il faisait tout pour me mettre à l'aise : symétriquement j'avais intérêt à être clair dans mes raisonnements économiques.
Il aimait à répéter à l'infini que la personne qui jargonne au point de vous noyer est un imposteur qui a quelque chose à cacher : son incompétence ou la vérité des faits.
Je dois reconnaître que la vie m'a depuis souvent donnée l'occasion de lui rendre raison sur ce point.
En fait, il avait de la tendresse pour moi et trouvait assez courageux d'avoir " monté " sa propre petite entreprise tandis que, pour ma part, je pensais à la hauteur de la vague de décisions publiques qu'il a prises dans sa vie et qui ont influencé le quotidien de milliers de gens voire de millions de gens lorsqu'il eût la chance de travailler à Matignon auprès du Premier Ministre Pompidou.
Car Claudius Brosse, qui avait bien connu à cette époque son camarade de promotion Chirac, était avant tout un homme de Pompidou. A des détours rapides d'échanges, j'ai compris qu'il avait fait beaucoup pour Georges Pompidou en calant probablement parfois les codes de droit administratif sous les pieds de son bureau.
Dans cette période heurtée du début des années 60, la France ne risquait pas d'être traitée comme un " paillasson " ( Rama Yade ) tant que des hommes comme Brosse et ses chers amis veillaient à la sureté de l'Etat et au bon achèvement des décisions prises par le Général de Gaulle.
En tant que conseiller à Matignon, il faisait partie de cet iceberg nommé " l'intendance suivra ! ". Il faut dire que dès son stage E.N.A, il avait été confronté au réel : de 1959 à 1960, il fut en effet chargé de mission au cabinet du Préfet de Constantine en pleine Guerre d'Algérie.
Homme d'action, Claudius Brosse a appris la concision auprès de Georges Pompidou :
" Nous pouvions remettre tous les soirs des notes à Georges Pompidou par l'intermédiaire du chef de cabinet. Il les rendait annotées le lendemain matin à 9 h 30. Mais il exigeait de nous une parfaite discipline intellectuelle : sauf dans de rares exceptions, nous devions lui exposer une affaire en une page. Il expliquait, non sans malice, mais à juste titre, que si nous n'en étions pas capables, c'est que nous ne la connaissions pas parfaitement. C'est une méthode que je n'ai jamais oubliée par la suite " ( in L'Etat dinosaure, page 61 ).
Là où Georges Pompidou était incontestablement un intellectuel féru de lettres, il faut remarquer que le Président Reagan – différemment construit - a décidé, sur la base d'un mémorandum de 21 lignes, la riposte américaine vers la Lybie après l'attentat du Drakkar du 23 Octobre 1983.
Après Matignon, Le Préfet Brosse prit ses fonctions en Lozère en 1968 : attention à ne pas se méprendre, ce n'était pas quelques habitants et quelques moutons qui l'attendaient mais l'affaire du Larzac et les mobilisations auxquelles un projet d'extension de terrains militaires avaient donné lieu. Poste de confiance, donc.
Puis la Drôme en 1972, puis la Sarthe à compter de 1975, puis Préfet de Région Auvergne de 1977 à 1982 : poste de confiance puisqu'il s'agissait des terres électorales dont étaient issues le Président Giscard d'Estaing alors aux affaires.
Le Préfet de Région Brosse était donc un homme estimé et un haut fonctionnaire respecté par les pouvoirs gaulliste, pompidolien et giscardien.
Lorsque le 10 Mai 1981 sonna l'heure de changements dans la Préfectorale, notre ami a su trouver les bons contacts et réseaux pour être nommé par le Ministre Jacques Delors comme Trésorier-Payeur-Général du Morbihan ( 1982-1985 ) terre de l'ancien Ministre de l'intérieur Christian Bonnet et de l'inoubliable Raymond Marcellin....
On compte sur les doigts d'une voire deux mains le nombre de Préfets de Région qui furent après TPG tel l'estimé Jean-Claude Aurousseau. Là encore, poste de confiance donc.
De 1985 à 1986, on retrouve Claudius Brosse dans l'Aisne en tant que TPG avant de le voir installé à la Préfecture de Région à Dijon ( 1986-1987 ) au profit du retour à Matignon de son ami Jacques Chirac.
Sur cette expérience préfectorale en Bourgogne, nous avons souvent conversé : depuis le futur de la sylviculture dans le Morvan jusqu'à l'avenir des Laboratoires Fournier à Chenôve piloté par notre ami commun Bernard Majoie.
J'ai été impressionné de sa connaissance du terrain et des grands enjeux de ce beau coin de France où résident mes attaches. Son bureau était aussi beau que ses idées étaient précises sur les tâches à accomplir. Il ne me revient pas de juger mon aîné mais au nom de notre amitié, je dois confier que c'était un grand Préfet qui a d'ailleurs failli rejoindre la Préfecture de police qui représentait, il faut bien le dire, son ambition suprême voire son rêve.
Dans l'Etat dinosaure, son unique livre qui lui valut de passer à Apostrophes ( juste à la droite de l'animateur Bernard Pivot ), il y a bien des pages intéressantes.
Ayant été plus de dix ans commissaire aux comptes parfois dans des dossiers délicats, je retiens un extrait de la page 110 : " Un préfet ne peut pas se faire que des amis, et j'irai plus loin : s'il a trop d'amis et de gens qui disent du bien de lui, il y a une présomption, c'est qu'il ne fait pas son travail correctement. Il faut savoir pratiquer le compromis dans les affaires courantes mais rester intransigeant sur l'essentiel ".
Puissent les membres de bien des professions faire siennes ces cinq lignes qui sont pour moi à valeur de maxime et de guide.
Après avoir présidé la mission anti-toxicomanie et rédigé un rapport sur la géothermie, il devint un des membres de l'état-major de la CAPEB : les artisans du bâtiment ( 1993-2000 ). Il y fit un travail apprécié et su accepter d'autres activités à commencer par celle d'Administrateur de CLUNY FINANCE que j'avais fondée et qui s'occupait de questions d'évaluation d'entreprise.
Nous fûmes alors très proches à tel point, qu'avec mon plein accord tacite, il déclara en Juin 1994 le jour de notre mariage qu'il était fier d'être mon " deuxième père " ( sic ).
Effectivement cet homme rugueux et loyal m'a énormément apporté ( dans ma vie ) et rapporté ( de sa vie ). Son accident de santé a suspendu notre amitié mais par-delà son état puis son départ en 2011, il sait que nous sommes dans le respect de son sillage.
Tel le porte-avions Clémenceau, il n'était plus en service actif mais la France sait ce qu'elle lui doit. Il a été un vrai serviteur de notre Etat et de nobles causes nationales.
Le chemin faisant, je crains que certaines bougies ne s'éteignent et qu'une obscurité se fasse autour de lui : par exemple, ce n'est probablement plus Jacques Chirac qui pourrait raconter une de leurs péripéties communes.
Pour ma part, j'ai commis cette lettre ouverte pour que le nom de Claudius Brosse ne verse pas dans un oubli injustifiable et coupable.
La République n'a pas la mémoire sélective mais les gens sont désormais tous pressés, à commencer par ceux qui ont de hautes fonctions électives.
Pour le reste, je n'ai qu'un mot à dire : " Mon Ami, tu me manques tant ".
Vivement les forces de l'Esprit qui peut-être nous feront nous croiser....
Mes respects, Monsieur le Préfet de Région.