L'aube et le crépuscule de nos amis assureurs.
Les mains de la talentueuse pianiste Hélène Grimaud, les jambes du jeune prodige du football Messi, l'imposante tour Total à La Défense, le scooter dernier-cri de vos enfants sont tous réunis : ils sont des éléments soumis à assurance. Face à un marché immense, avançons en pleine lumière dans un secteur parfois clair-obscur.
Le secteur des assurances, dans les pays développés, a une dimension multiforme qui le rend omniprésent : depuis la couverture de l'accident domestique ( avec votre machine à café le matin ), à l'accident de trajet ( au sens du Code du travail ) en passant par les risques professionnels auxquels chaque secteur est exposé : depuis le livreur d'essence et son camion jusqu'aux valeureux ouvriers forestiers du Morvan.
Omniprésence des produits ne signifie nullement obsolescence : il y a des renouvellements de gammes au sein de produits hyper-classiques comme l'assurance automobile ( facturation au kilomètre parcouru, " à ma guise " pour ne pas citer directement une marque...)
En premier point de synthèse, on peut donc relever qu'il y a mouvement de redéfinition des contenus des produits établis ce qui n'empêche nullement les compagnies d'élargir leur offre : garanties accidents de la vie, approches de la dépendance, clauses revisitées sur le vol habitation.
Autrement dit, loin d'être installées dans un confort de niches, l'assurance en Occident est un marché concurrentiel, dynamique sur les produits établis et indispensables ( obligations légales d'assurance ) et en mouvement marketing incontestable.
Selon nous, là encore, la Loi de Say trouve pleine application : l'offre crée sa propre demande.
D'autant qu'ayant quitté les Trente glorieuses, nous sommes probablement au pied des trente douloureuses ( comme l'écrit le très estimé Augustin de Romanet, ancien Directeur Général de la Caisse des Dépôts et Consignations ) et certainement des trente anxieuses. Jamais l'inquiétude n'a été si grande pour la santé de nos anciens, notre sécurité physique, la sauvegarde de nos enfants, etc.
Dans une société véritablement médiatisée où un drame de car dans un tunnel suisse a bouleversé une partie de l'opinion publique, cela revient à dire que les prochains voyages verront les parents cocher la case " assurance complémentaire ".
Le philosophe Michel SERRES aime à répéter que nous avons mis des siècles à digérer l'écriture et qu'il en sera de même pour les images. Quel parent n'a pas été marqué ici ou là par un évènement " vu " à la télévision et qui déclenche vigoureusement son besoin d'assurance ?
Selon nous, le marché de l'assurance est donc à l'aube de sa croissance intrinsèque en Occident où le caractère disruptif des soucis de la vie est de moins en moins admis.
Marie de Hennezel – qui avait travaillé sur la question de la mort auprès du Président François Mitterrand dans les derniers mois – a montré que nos sociétés veulent écarter la mort, ne veulent plus l'assumer. Cette dénégation irrationnelle et absurde se retrouve quelque part, par symétrie, dans le désir d'assurance assimilé à un désir d'avenir pour reprendre un slogan de 2007.
En Occident, élargissement de la gamme et extension permanente de l'offre produits sont des points forts du secteur.
Qu'en est-il ailleurs ? Laissons la parole à un professionnel reconnu du secteur : le Président Denis KESSLER ( SCOR ) ne cesse de rappeler que tout est à faire dans bien des pays et qu'en Chine, pays peuplé et progressivement doté d'une population solvable, le besoin d'assurance se chiffre en milliards de dollars de primes à émettre et recouvrer.
L'assurance est un secteur à part : il a gagné le pari de construire des compagnies sur lesquelles le soleil ne se couche jamais ( étant donnée leur dimension planétaire ) et d'évoluer dans un monde où l'aube demeure en Occident ( voir ci-dessus ) et où l'aurore vient de pays émergents qui disent " encore ! " lorsque le consommateur entend le mot assurance.
Cette universalité des produits, cette appétence mondiale est digne de la consommation des hydrocarbures au XXème siècle.
Le XXIème siècle sera celui de la naissance d'un Exxon de l'assurance avec des fondamentaux comptables et financiers sérieux et opposés aux pratiques d'Enron ou de certaines compagnies françaises dans une période pas si lointaine.
Si nous pensons que le boulevard de la croissance est certain, il ne faut pas nier un quart de seconde les défis.
L'assurance est d'abord un ratio : S / P ( Sinistres sur primes ).
Or, le chiffrage des sinistres est de plus en plus coûteux. Songeons aux inondations en Thaïlande ( affectant le marché mondial des semi-conducteurs ), aux martyrs du nord du Japon ( tsunami du 11 Mars 2011 et accident nucléaire corrélé ), à Draguignan et ses pluies diluviennes ou à la désolation de la côte charentaise et vendéenne ( tempête ).
A ces catastrophes naturelles dont un consensus d'experts prédit la multiplication dans l'avenir, il faut ajouter le coût des déséconomies externes ( pollutions; etc ) dans les grandes conurbations. De même, on ne saurait passer sous silence les phénomènes de violences urbaines : de petite envergure mais quotidiennes ou de grande envergure et fort coûteuses.
Par-delà la qualité des systèmes d'information des grandes compagnies et leur contrôle par les Autorités prudentielles, l'élévation tendancielle du risque et du coût du " S " supposera de répercuter tout ceci dans le " P " que nous payons.
Un secteur en forte croissance et en structure quasi-oligopolistique est forcément " price-maker " comme l'a démontré Léon Walras.
De surcroît, à la relation contractuelle compagnie – assuré est venu s'adjoindre un acteur de taille : l'Autorité judiciaire.
Chacun peut observer, au fil de l'actualité et des jurisprudences, qu'il y a bel et bien une lourde tendance à l'élévation unitaire des indemnisations. Qu'il s'agisse de l'amiante ou du futur règlement en Justice de l'incroyable affaire du Médiator.
Le 10 Mars 1906, plus de mille mineurs ont vu leurs vies s'arrêter au fond de la mine de Courrières. On imagine les indemnisations d'alors. Si un TGV ou autre venait à provoquer mille départs dans une société qui veut repousser la mort derrière un rideau de théâtre qui n'est en fait qu'un rideau de douche, on n'imagine les passions et les procès.
Etre assureur aujourd'hui, c'est avoir des actuaires mais aussi des sortes d'esprits libres qui chiffrent l'occurrence et le coût du sinistre maximal probable.
De plus, dans ces affaires de taille hors-norme, les mots ont un sens et nous savons tous que l'assurance, c'est la parole donnée accompagnée de petites lignes contractuelles.
Zéro bla-bla mais d'éventuels tracas....
" Quelqu'un a dit que les tours jumelles étaient assurées pour des milliards et des milliards de dollars, y compris contre les actes terroristes, mais qu'elles ne l'étaient pas contre les actes de guerre. Donc, selon les termes employés par Georges Bush, ou bien c'étaient les grandes compagnies d'assurances qui en tiraient avantage ou bien c'étaient les entreprises sinistrées. C'est peut-être la raison pour laquelle il parle tantôt de guerre, tantôt de terrorisme, peut-être ne sait-il pas bien qui favoriser. " Umberto Eco ( in " à reculons comme une écrevisse " page 247 ).
L'assurance est un métier palliatif des maux qui se nourrit parfois de mots et de conflits interprétatifs.
En ces temps de crise dont l'étirement est un supplice chinois pour les Comités d'audits de certaines compagnies, la question du pouvoir d'achat des clients va se poser. Nous avons vu que le ratio-clef du métier et l'épaisseur des risques contraignaient à une hausse des primes. Or que constate-t-on ? Le client coincé fait l'impasse sur l'assurance y compris au mépris de la Loi : voir le nombre croissant de conducteurs de véhicules automobiles qui roulent sans assurance.
Il y a là un défi collectif tant pour les compagnies classiques que pour les mutualistes.
Parallèlement, on relève le caractère très disparate des producteurs dont il n'existe pas un profil-type nettement isolable.
Les forces et faiblesses d'Allianz, Generali ou Axa ne sont pas superposables.
En économie et en stratégie opérationnelle manifeste, cela revient à dire qu'une consolidation du secteur est à prévoir puisqu'une structure de portefeuilles différenciée correspond par effet de miroir à une notion importante : celle de répartition plus harmonieuse des risques sans même parler d'une évidence commerciale : la capacité pour la proie d'accéder au fichier client de sa cible et d'élargir la palette de produits proposés.
Axa et Uap paraissait improbable, Gan et Allianz de même. Nous sommes convaincus que les nécessaires dépréciations que les bilans de certains opérateurs vont devoir subir les entraîneront vers le laminoir de la concentration.
Nous savons bien que si le Crédit Agricole a son épreuve grecque, certains assureurs ont d'autres épreuves. Les valeurs boursières le démontrent avec, par exemple, Axa à moins de 10 euros l'action.
Alan Greenspan ( gourou ou initiateur de la crise actuelle ? ) a un jour évoqué " l'exubérance " des marchés. En matière d'assurances, on doit davantage évoquer les notions de déception et d'exaspération face aux performances boursières.
L'année des comptes 2012 sera délicate. Nombre de dirigeants ou d'auditeurs le savent.
Pour la " veuve de Carpentras " ( expression de l'estimé Gérard de La Martinière, ancien d'Axa et surtout de la FFSA ), l'assurance n'est plus une valeur de pater familias : c'est une source de moins-value.
L'ingénierie financière est un art qui peut conduire à des erreurs manifestes d'appréciation.
Citons à ce propos, le Président Claude Bébéar : " (...) une bonne comptabilité doit mettre en lumière la situation réelle de l'entreprise. (...) Ce qui m'inquiète, c'est que j'ai l'impression que cette qualité s'est fortement dégradée ces dernières années. Regardez la situation aux Etats-Unis où de plus en plus d'entreprises publient leurs comptes puis, un peu plus tard, les rectifient ! " ( in Ils vont tuer le capitalisme, page 88 ).
Que 2012 ne devienne pas le concours Lépine pour des officines conseillant les dirigeants d'entreprises aussi importantes.
Aurait-on – sérieusement – besoin de rajouter à la crise économique ( récession ) monétaire ( euro ) et sociale ( pouvoir d'achat et emploi ) une crise de confiance dans les chiffres émis par certains pôles structurants du CAC 40 ?
L'aube se lève sur ce métier de l'assurance, nous l'avons dit et démontré.
Le crépuscule de la rentabilité peut se manifester si le ratio S / P n'est pas maintenu.
Le crépuscule de certaines structures est une donnée acquise d'ici à 5 ans. Il s'en suivra une exacerbation de la concurrence pour remporter la bataille de la croissance externe au plus grand profit intellectuel et financier des banques d'affaires.
N'oublions pas que l'éminent et truculent Antoine Bernheim fut un pilier de Lazard Frères et ultérieurement un Président remarqué de Générali....ce fut sa façon à lui de faire de la bancassurance !
Les risques du crépuscule nous semblent, dans ce secteur, maîtrisables mais il y aura du sport....
" Tout crépuscule est double, aurore et soir. Cette formidable chrysalide qu'on appelle l'univers tressaille éternellement de sentir à la fois agoniser la chenille et s'éveiller le papillon ". ( Victor Hugo, in Philosophie. Commencement d'un livre ).
L'assureur est au centre du capitalisme moderne, beaucoup d'éléments de la chrysalide dépendent de son talent et de sa rigueur.