L'Europe a tiré une balle dans le pied de notre industrie !
Européen en premier et dernier ressort, force est de constater que notre adhésion à ce beau projet collectif se heurte au principe de réalité. L'Europe a contribué à fragiliser l'essor de nos industries. Prenons un peu de recul et sédimentons les faits avec minutie et tristesse. Contribution dédiée à toi l'ouvrier européen qui ne demandait qu'à le rester !

Par attaches familiales qui remontent aux années 1920, par réflexion de type méso-économique chère au Professeur Pierre Bauchet, par volonté de voir aboutir une grande idée, oui nous voulons l'Europe. Comme l'a écrit Jean Monnet " nous ne voulons pas coaliser des Etats mais unir des hommes ". Or l'acte de production, le travail est fondateur : il ne doit pas voir sa " fin " comme l'a écrit l'estimé Michel Drancourt ou plus récemment l'éminent sociologue Michel Vacquin.
Dès lors que ce désir d'Europe – d'une essence différente du désir d'avenir de 2007 – est proclamé, il faut l'alimenter de ses succès en matière agricole, spatiale et géo-stratégique. Est-on sûr que notre immense joie de novembre 1989 ( chute du mur de Berlin ) aurait eu lieu si l'Europe n'avait pas été au rendez-vous, si notre Président d'alors et le Chancelier Kohl n'avait pas su élaborer une complicité allant au-delà de l'entente ?
Par-delà l'admiration que l'on peut valablement porter à l'ancien élu de Château-Chinon, ce n'est pas être offensant vis à vis de sa mémoire que d'affirmer qu'il connaissait mal les questions industrielles. Des dizaines de décideurs du rang des Présidents Ambroise Roux, Georges Pebereau et Jean-Louis Beffa l'ont dit avec tact mais conviction.
L'Histoire économique retiendra, si elle a le temps dans ce monde où l'accélérateur semble alourdi, que feu Jean Riboud ( Schlumberger ) a eu un rôle prépondérant tel un de ces trop fameux visiteurs du soir à qui François Mitterrand parlait rarement du Morvan puisqu'il était alors en phase d'écoute et probablement de questionnement.
N'étant pas féru de questions du secteur secondaire ( selon la typologie classique dûe à Colin Clark ) sauf lorsqu'il réussissait à implanter une usine DIM dans " son " ancienne terre d'élection ( en complément de celle d'Autun, ville chère à Arnaud Montebourg et sa démondialisation ), l' homme qui repose à Jarnac a laissé beaucoup de latitude aux rouages institutionnels de l'Europe, à ce que le Général de Gaulle aurait aussi pu nommer de " machin " tant les processus de décisions sont décevants voire contestables.
Beaucoup d'exemples surgissent de notre mémoire.
Tout d'abord, parlons d'aluminium : un secteur important voire sensible depuis la cannette de sodas jusqu'aux berlines allemandes dernier-cri produites grâce à cette matière.
Avant-hier, c'est à dire en 2000, la Commission européenne repousse un projet finement et méticuleusement défini : le projet de fusion entre Péchiney, le suisse Algroup et le canadien Alcan. Le motif technico-administratif invoqué au terme d'un dossier juridique impressionnant est simple : trop de risques d'abus de position dominante.
Un an après, en 2001 donc, le canadien persévérant procède au rachat du suisse Algroup : un deal rondement mené et conforme aux lois de la concentration capitaliste.
Lois qui s'appliquèrent en 2003 par le rachat de Péchiney et la perte d'un fleuron de notre industrie fondé en 1855. Fleuron dont les principaux cadres furent remplacés, le centre de formation de Janville vidé de son sens, etc. Bref, une perte de souveraineté et des futurs plans sociaux car c'est presque toujours la proie ( et non le conquérant ) dont les effectifs servent de variables d'ajustement.
Parfois le chasseur devient gibier : ainsi Alcan se fait racheter par le groupe minier anglo-australien Rio Tinto. Pour les amateurs de fusions-acquisitions, un coup de maître à enseigner à tous les seniors de banques d'affaires mûrs pour le statut tant convoité de " partner ".
Après des péripéties et des détourages d'activités, l'année 2010 a vu la création d'Alcan EP dont la stricte majorité ( 51 % ) sera vendue à Apollo ( fonds d'investissement nord-américain ) en 2011 tandis que notre fonds souverain ( le FSI ) prendra une participation de 10 %.
De cette page de notre histoire économique, il ne faut probablement blâmer personne mais seulement constater que l'application mécanique du droit de la concurrence ( un des piliers du droit de l'Union ) a privé le continent européen ( Suisse et France ) d'une fusion à trois avec une belle affaire : Alcan.
Autrement dit, exécuter les directives à la lettre a fait perdre de vue l'esprit de conquête des pères fondateurs de la Communauté.
D'une fusion avec brio, on a fait un saut dans la précarité sociale et financière.
Pauvres ouvriers de la vallée de la Maurienne dont le sort a été scellé par un homme brillant devenu Président du Conseil de son pays : seules les Alpes et une conception de l'Europe les séparent au moment où sont écrites ces lignes.
La campagne électorale de la France de 2012 a évoqué à longueur de temps le " made in France ". Il est un secteur, lui aussi vital, où cette expression a eu un sens pendant des siècles : la sidérurgie. Après bien des déboires ( cf. plan Barre de 1978, etc ), ce pan d'activités avait été magistralement modernisé par des milliers d'heures de labeur des opérateurs et des ingénieurs.
Là, une fusion aboutie ( sous des réserves formulées le 21 Novembre 2001 par la Commission européenne à nouveau par Monsieur Mario Monti ) avait donné naissance à Arcelor qui réunissait Aceralia ( Espagne ), Arbed ( Luxembourg ), et Usinor ( France ).
L'Europe unie était ainsi devenue le premier producteur mondial d'acier et l'avenir semblait rose. Rose comme aurait aimé Arnaud Montebourg qui n'a certainement pas goûté le raid boursier réussi de Monsieur Mittal après des errements européens auprès de partenaires russes.
Des heures furent requises pour construire un empire : la mariée étant belle, elle eût vite un prétendant aux yeux de velours mais aux méthodes de prédateurs.
Alors tant pis pour l'ouvrier de Lorraine si l'Europe des fondateurs s'est évanouie au profit d'un grand marché qui piétine des segments du corps social.
Tant pis si tout se décide par une famille – probablement honorable – qui réside dans la maison réputée pour être la plus coûteuse de Londres.
La Maurienne, la Lorraine, à qui le tour ?
Gueugnon ( capitale de l'inox ) située en Saône et Loire d'où nos références à son Président du Conseil Général ?
Combien d'heures de bureaucratie et d'avocats brillants pour d'aussi regrettables résultats méso-économiques.
Rappelons-nous, avec amertume et un brin de sidération, de la complexité de la définition des pouvoirs d'un autre Commissaire européen à la concurrence : Sir Léon Brittan. En 1992, le Président Delors a été dans l'obligation de constater les tiraillements ( euphémisme ) entre le raffiné britannique et les hommes du Nord de l'Europe : Martin Bangemann ( Vice-président de la Commission chargé de l'industrie ) et Karel Van Miert.
L'affaire De Havilland était passée par là.
Le passage du GATT à l'OMC a été un défi pour l'Europe qui est devenue dans bien des segments industriels davantage cliente du monde que fournisseur.
N'est-il pas urgent de se doter d'outils raisonnablement maniables et acceptables par nos amis des autres continents ?
L'Europe doit-elle se faire souffler sous le nez ses champions ( Arcelor ) et dire toujours non à de belles idées ( Fusion à 3 dans l'aluminium ) ?
Les analystes stratégiques Thierry de Montbrial et François Heisbourg ont répété à plusieurs reprises que l'Europe était plus forte lorsqu'elle avait un ennemi à ses portes. Quand le Pacte de Varsovie était vivace, Bruxelles voulait unir des hommes pour leur sécurité physique et leur bien-être.
De nos jours, la complexité étouffe l'idée de départ, les textes sont finalement des corsets qui équivalent à des barillets visant le pied de l'industrie européenne.
L'Oréal, Suez, Danone ? On frissonne.
Laissons une conclusion provisoire à un homme que les sciences économiques ne passionnaient guère : Paul Valéry.
" L'Europe n'aura pas eu la politique de sa pensée " ( in Regards sur le monde actuel ).