Le moral des industriels : simple variable d’ajustement pour l’Etat ?
Alors que l’Allemagne vient à nouveau d’abaisser ses perspectives de croissance pour 2013 ( désormais à 1% contre 1,7% il y a quatre mois ), la France est en cours de discussion parlementaire sur une Loi de finances qui repose sur l’hypothèse de +0,8% de hausse du PIB là où le consensus des économistes est à 0,2%. Certains posent même l’éventualité regrettable d’un flux récessif : telle est notre position depuis des mois.
Le moral des industriels : simple variable d’ajustement pour l’Etat ?
Dans ce contexte, l’INSEE vient de publier l’indicateur synthétique du climat des affaires dans l’industrie qui atteint pour octobre le niveau de 85 points soit une baisse de 5 points par rapport au mois précédent lui-même en retrait de cinq points par rapport aux 90 points du mois d’Août.
Atteint de plein fouet par la crise financière, cet indicateur était tombé à 69 points en mars 2009 mais avait progressivement remonté pour être à 111 à la mi-2011.
Depuis plus d’un an et demi, le moral des industriels se dégrade sans discontinuité.
Avant d’avancer quelques idées économiques, essayons de comprendre les enjeux.
En premier lieu, les carnets de commandes sont altérés et dès lors les perspectives de chiffres d’affaire sont plus que médiocres. Les industriels voient donc leur rentabilité fondre au fur et à mesure du poids relatif croissant de leurs charges fixes. Imaginons le coût des véhicules Peugeot actuellement sur parc que PSA ne parvient pas à écouler. Les stocks de produits finis ont atteint, selon l’INSEE, un niveau imposant ce qui signifie mécaniquement que les chefs d’entreprise vont réduire leur production dans les mois à venir.
Dans certains cas des dépréciations de stocks ( normes IFRS ) vont devoir intervenir et entamer la qualité des bilans donc la capacité à emprunter. Capacité au demeurant mise à mal par la réforme du gouvernement concernant la non-déductibilité des intérêts d’emprunts. Nul ne sait si le moral des industriels est une simple variable d’ajustement pour l’Etat mais en revanche tout entrepreneur, même le plus modeste, sait que cette mesure ( si elle est confirmée ) est un repoussoir pour l’investissement.
En deuxième lieu, ce qui est préoccupant, c’est que les carnets de commandes internes sont dégarnis mais aussi les commandes à l’export. Diverses incertitudes politiques ( annonces contradictoires, etc ) et plusieurs effets d’annonce de nature fiscale ne donnent guère l’envie de contracter avec une firme française.
En troisième lieu, les industriels s’étaient forgés une conviction au printemps dernier : par-delà la couleur politique du Président du 6 Mai 2012, il y aurait une politique publique crédible de relance de la compétitivité. A ce jour ( lors de l’enquête INSEE ), tout est « flat » de ce côté-là et ceci suscite une forte inquiétude des industriels.
A ce stade, il faut se tourner vers l’économie politique.
Elle nous enseigne une évidence : quand la demande est faible voire très faible dans certains secteurs, les producteurs doivent ajuster leurs capacités voire les réduire et licencier.
Elle nous enseigne aussi que « trop d’impôt tue l’impôt » (courbe de Laffer ) et que les dix milliards prélevés sur les entreprises vont induire des flux contradictoires : le premier d’entre eux étant la baisse des rentrées d’impôt sur les sociétés du fait, précisément du climat morose des affaires.
Elle nous enseigne aussi que les effets d’annonce génèrent des « anticipations rationnelles » : ainsi lorsque les industriels ont vu l’un des leurs, Monsieur Louis Gallois, être en charge d’un rapport sur la compétitivité, certains ont pensé qu’il fallait inscrire cela au rayon des trop rares bonnes nouvelles. Les déclarations de plusieurs ministres ( y compris celles du mesuré Michel Sapin ) et une phrase du Chef de l’Etat ont réduit à peau de chagrin ce qui sera extrait du rapport Gallois. Nul doute que ce fait aura un impact sur le futur indice de la morosité patronale. Quand l’Etat fait se lever une espérance, rien n’est plus risqué que de la shunter de surcroît de manière un peu cavalière pour un auteur qui ne remet officiellement son texte que le 5 Novembre.
L’économie politique nous enseigne que tout agent économique cherche à maximiser le couple travail-revenus. Autrement dit, les industriels sont des gens travailleurs à condition que le fruit de leurs efforts soient dignes de ce nom. Suite au mouvement des pigeons ( #geonspi ), l’Etat aurait ainsi modifié sérieusement son texte et fait bouger les lignes de son projet fiscal. Souvenons-nous de la phrase d’Aristote que l’agrégé de philosophie Vincent Peillon doit avoir en mémoire : « Une seule hirondelle ne fait pas le printemps, un seul acte moral ne fait pas la vertu » Où est la vertu d’un Etat qui s’oblige à hauteur de 10 milliards et exige 20 milliards du corps social ? Poser cette question n’est pas malheureusement extérieur au sujet du moral des entrepreneurs.
Tout ceci est révélateur du fossé existant entre l’Etat et le monde des affaires.
François Mitterrand écoutait l’économiste Jacques Attali mais il écoutait aussi et beaucoup de capitaines d’industrie tels que Jean Riboud ( patron de Schlumberger et frère d’Antoine Riboud : Danone ) ou un homme d’influence comme André Rousselet qui aurait bondi face aux futurs ravages du cas de Bernard Arnault. Un homme qui assure tant d’emplois en France ( LVMH ) peut avoir des idées fiscales qui déplaisent, cela ne justifie pas que « l’on livre son honneur aux chiens » ( 1993 : Nevers : discours du Président Mitterrand aux obsèques de Pierre Bérégovoy ).
Quand le musée de sa fondation, dans le Bois de Boulogne, sera un succès incroyable et contribuera au rayonnement de Paris, il faudra se souvenir de certaines couvertures médiatiques.
L’économie politique nous enseigne, pour conclure, que l’industriel investit en fonction de la demande qu’il entrevoit. Comme l’a démontré Keynes, l’entrepreneur a une propension à investir directement liée à son anticipation de la demande future. Avec les perspectives macro-économiques de 2013, on imagine la réticence appuyée des dirigeants de PME voire de grands groupes.
Cette réticence est aggravée par le climat de stigmatisation des « patrons » entretenu par certains jeunes élus qui voudraient, à défaut de grand soir, une sorte d’ordre moral où l’entrepreneur devrait être un peu ( ou beaucoup ) bouc émissaire.
« A l’ordre moral imposé d’en haut aux gens d’en bas, nous devons préférer une société de la responsabilité partagée par tous ». Non, cette phrase n’est pas d’Arnaud Montebourg, elle est extraite d’un entretien au journal Le Monde d’un homme précautionneux et respectueux d’autrui : Monsieur Lionel Jospin. ( 31 Janvier 2003 ).
Pour des motifs politiques et suite à des facteurs économiques exogènes, les industriels ont donc peu d’éléments auxquels se raccrocher pour avoir le moral.