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08/11/2012

L’innovation : pari mais nécessité

L’évidence conduit à constater l’accélération de l’apparition des nouveaux produits. Nous sommes en train de vivre le début d’un cycle où l’innovation va remplir un rôle vraiment prépondérant. L’innovation est une nécessité mais elle demeure avant tout un pari. Tournons un projecteur vers ce concept aux contours évolutifs.

Innovation

L’innovation : pari mais nécessité

En guise de première définition – la plus consensuelle possible – l’innovation peut être définie comme une invention qui trouve à se déployer à travers une application économique concrète. L’innovation peut concerner un produit, une nouvelle organisation ou un procédé de commercialisation.

Concernant la production, des dizaines d’exemples sont rapportables : prenons le cas de l’électronique embarquée qui a profondément amélioré la sécurité et les performances de nos automobiles. En matière d’organisation, tout un chacun a déjà au moins une fois croisé dans sa carrière professionnelle une équipe de consultants qui avait réussi à convaincre la Direction générale de telle ou telle remise à plat des organigrammes. Parfois sous de bons motifs, parfois de manière hélas contre-productive. Enfin, en matière de commercialisation, l’innovation récente vient notamment de l’essor des ventes par internet et notamment du « B to C ». Ceci concerne vos courses alimentaires livrées à domicile, vos vêtements ou la banque en ligne. Elle vient aussi du développement des formules de magasins en franchise ce qui est un moyen de diffuser un capital immatériel essentiel : une marque.

1 ) L’innovation : nécessité face à la concurrence.

Raymond Vernon a démontré il y a une cinquantaine d’années l’existence d’un cycle de vie du produit. La première phase est évidemment celle de l’innovation par elle-même. La deuxième phase du cycle est la diffusion et la commercialisation du nouveau produit. La troisième et ultime phase est celle de la maturité où le produit est devenu un objet de « mass-market » voire un produit en début de déclin, d’obsolescence.

Partant de cette théorie du cycle de vie, on en déduit qu’une entreprise de Poitiers ou Valence ne peut rester inerte face au déplacement inexorable de son produit sur la courbe précitée. Condamnée à l’action, l’entreprise doit innover sous peine de voir s’éroder ses parts de marché et donc sa rentabilité et au final sa survie.

D’autant que bien des recherches économiques nord-américaines ont établi un lien entre degré d’innovation incorporée et capacités de résistance concurrentielle. Le célèbre Michael Porter ( dans « L’avantage concurrentiel » ) a établi que l’innovation est une digue contre la menace de nouveaux entrants sur le marché où évolue l’entreprise. De même elle réduit le risque de voir les clients se tourner vers des produits de substitution ou acquérir de plus grandes facultés de négociation ( prix, etc ). Enfin, l’innovation est aussi un atout face aux concurrents actuels.

Pour ces deux raisons empiriques et théoriques ( Vernon, Porter ) l’innovation est une nécessité au regard de la concurrence.

Nécessité que des industriels comme Marcel Bich ou André Citroën ou Henri Lachmann ( Schneider ) ont toujours mise en avant tout comme le génial publicitaire David Ogilvy qui déclara un jour : « Encouragez l’innovation. Le changement est notre force vitale, la stagnation notre glas ».

 

2 ) L’innovation : nécessité face à la phase actuelle du capitalisme.

Dans sa « Théorie du cycle des affaires », Joseph Schumpeter a démontré que les innovations sont en réalité des chocs erratiques, des variables exogènes qui, de plus, surgissent en grappes : autrement dit, une innovation entraîne plusieurs autres. Typiquement, l’informatique est un exemple clair à visualiser. Si votre nouvel ordinateur vous permet de nouvelles fonctionnalités, alors il faudra probablement changer d’imprimante pour qu’elle soit en phase avec le progrès du premier maillon.

Cette logique d’apparition successive et de grappes d’innovation est un fait statistiquement avéré : c’est d’ailleurs un des paramètres que les Pouvoirs publics ont intégré dans leur décision de créer des pôles de compétitivité. Un autre paramètre étant le mythique succès de la Silicon Valley !

Parallèlement à cette logique de grappes de type « pop-up », on doit relever la pertinence aigue, selon nous, de la loi de Say qui postule que « l’offre crée sa propre demande ».  Il y a vingt ans, le téléphone portable n’existait pas et le monde fonctionnait. De nos jours, nous sommes presque tous dépendants de notre smartphone : gain de productivité. Même remarque pour le micro-ondes dont le taux d’équipement des ménages valide le point central de Say : si le consommateur découvre l’existence d’un nouveau produit, un achat de nécessité ou de compulsion a de fortes chances de se matérialiser. Idem pour les industriels qui ont, par exemple, recours à de sophistiqués logiciels de supervision afin de détecter les malfaçons et de réduire les taux de rebuts.

Tant les enseignements de Schumpeter et de Say que des praticiens expérimentés ( voir FranceClusters.fr ) rapportent que l’innovation est une nécessité face au mouvement tendanciel d’accélération des découvertes, face à la vitesse d’apparition de nouveautés scientifiques. A meilleure preuve, le secteur des biotechnologies.

3 ) L’innovation : pari financier et pari juridique.

L’innovation peut rapporter significativement à l’entreprise qui la stimule. Mais elle est bien évidemment un coût avant d’être hypothétiquement rentable. De nombreuses études ( Coface, Chambres de commerce, Insee, Oséo ) rapportent que nous sommes depuis plusieurs mois dans une phase de « credit crunch » ( resserrement du crédit ) où il est parfois très difficile de trouver les moyens de financement : le capital d’amorçage.

Dans ce contexte, certains dirigeants – convaincus de leur idée – décident de recourir à l’autofinancement. D’autres – plus serrés en trésorerie - optent pour un repli et ceci nuit à notre future compétitivité sectorielle puis nationale. L’innovation est une variable complexe quand on est Directeur financier. S’il s’agit d’acheter une photocopieuse ou une machine-outil numérique, on connait le coût d’acquisition et les frais annexes, la durée d’amortissement, etc. Dans le cas d’une innovation, on investit toujours « un peu » sans savoir. Il y a là une dimension de défi, de pari sur l’avenir.

Quant au registre juridique, il est marqué par une complexité croissante en matière d’innovation. D’un côté la loi et les jurisprudences reconnaissent pleinement les droits de la propriété industrielle ( sous réserve de bonne validité des brevets, etc ), d’un autre côté nous savons bien que des produits sont imités et soumis à ce fléau de la contrefaçon. Alors que l’innovation vous donnait traditionnellement une longueur d’avance sur vos concurrents et l’occasion de restaurer votre marge de manière presque monopolistique, désormais les incertitudes de la mondialisation peuvent vous contraindre à prévoir un budget litiges lorsque votre innovation passe au stade de la production. Voire avant si votre firme est mal protégée en matière d’intelligence économique.

Malgré les progrès de l’OMC et la sensibilité personnelle du dynamique Pascal Lamy, l’innovation est plus risquée au plan juridique qu’il y a quelques années. Elle est donc, là aussi, un pari. Un pari parfois lassant pour le compétiteur de bonne foi.

4 ) L’innovation : pari humain et nécessité de basculement.

L’innovation est un pari humain et le restera toujours par-delà le fort développement des systèmes d’intelligence artificielle. Ce pari humain est désormais visualisé à travers des « task forces » qui enfilent réunion après réunion et travaillent, par exemple, comme les chercheurs de l’industrie aéronautique. On imagine mal un homme seul face au projet de conception de la suite de l’Airbus A350.

Ce travail nécessairement collectif pose toutefois un défi : celui du « time-to-market » : autrement dit du délai requis entre l’innovation et la mise en commercialisation du fruit de celle-ci. Parallèlement, il faut parfois se méfier des méthodes collectives classiques de réflexion qui ne stimulent pas toujours la vraie créativité. LE QQOQCPC ( Qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi, combien ? ) n’est pas toujours la meilleure écurie de pensée.

Certains travaux ponctuels ont montré que des groupes de réflexion trop structurés et formatés débouchent sur des innovation graduelles ( incrémentale ) et pas sur des « break-through », pas sur des innovation radicales.

Il faut donc savoir organiser la pensée plurielle sans la canaliser en n’oubliant jamais la forte pertinence du concept de « serendipity » ( sérendipité ) qui correspond à la notion de découverte fortuite.  L’industrie pharmaceutique a ainsi obtenu des « blockbusters » sans qu’ils soient directement issus de la recherche initialement conduite.

Ce formidable pari humain est donc celui de la créativité, celui de la discussion interne entre doute et estime de soi, celui de la maîtrise du changement. Les hommes et les femmes qui ont pour mission d’innover doivent avoir des capacités cognitives aux aguets, de la rigueur et en même temps une pensée errante et fouineuse ( « wandering thinking » ).

Mais au traditionnel pluriel d’hommes et femmes, on peut aussi mettre le mot d’innovateur au singulier. Il existera toujours, dans l’espèce humaine, des hommes ou des femmes – travaillant en solitaire – qui innoveront. Je pense ici à l’exemple remarquable de Roland Moreno, inventeur français de la carte à puces, qui a révolutionné nos vies.

Il demeure l’illustration de cette phrase du mathématicien Henri Poincaré : « L’esprit n’use de sa faculté créatrice que quand l’expérience lui en impose la nécessité ». L’innovation est bien un pari mais aussi une nécessité directement ancrée dans le cerveau de l’innovateur qui est un creuset de basculement de concepts.

Roland Moreno lui-même a écrit ( dans « La théorie du bordel ambiant » 1990 ) : « Plus on s’ouvre aux innovations, plus on prend le risque de n’être qu’une coquille de noix ballottée d’une théorie à une autre, abandonnant sans cesse son explication du monde, son système de valeurs, de références ».  La clarté de ce propos venant d’un homme qui fût souvent qualifié de génie s’impose à l’esprit. L’innovateur est face à son basculement intérieur comme l’écrivain face à une feuille de brouillon peu déchiffrable.

Au demeurant, cette nécessité de basculement existe aussi au moment où la décision de lancer l’innovation en production est prise. Cela suppose fréquemment de reformater les outillages, de former les personnels, de motiver les forces de vente, etc.

Si le passage de l’invention à l’innovation est un art complexe et assez peu modélisable, le passage de l’innovation au monde de la production peut supporter une logique de jalons.

A l’heure où nos sociétés occidentales sont marquées par une douleur sociale ( crise, chômage ) et ce que Durkheim appelait une anomie  ( situation de dérèglement social par dilution des valeurs d’un groupe ), il nous semble que seule l’innovation est à même de constituer un des feux verts dans cet univers de feux clignotants qui sont, pour certains, préoccupants. ( voir études du CREDOC ).

Très récemment ( le 27 Octobre 2012 dans Atlantico ), un jeune entrepreneur nommé Bertin Nahum a indiqué qu’il regrettait que la taille de sa PME ne lui ait fermé des marchés par manque supposé de crédibilité selon les donneurs d’ordre potentiels. Pour votre information, il dirige Medtech ( assistance robotique à la chirurgie ) et vient d’être élu 4ème entrepreneur le plus révolutionnaire au monde selon le magazine Discovery Series. Il y a donc un problème spécifique français vis à vis de l’innovation et notre Nation a la nécessité de gagner ce pari pour demain.

Souvenons-nous simplement, dans un coin de notre bibliothèque neuronale de l’opinion étayée d’Antoine Riboud, formidable développeur de BSN puis de Danone : « L’innovation est une alliance entre recherche, marketing, instinct, imagination, produit et courage industriel ».

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