Crise : pourquoi 2016 pourrait être pire que 2008
Le krach rampant de Janvier 2016 est un fait. C'est précisément en partant des faits que l'on ne peut que conclure à l'émergence d'une crise systémique. 2016 sera rude, nous le savons tous ou le subirons à nos dépens.
Publié sur le site " Le Cercle LES ECHOS " : 13 Février 2016
La crise de 2008 était difficile à concevoir car bien peu pouvaient se targuer de connaître l'ampleur de la dissémination de produits toxiques dans différents compartiments d'épargne. Bien peu pouvaient concevoir que l'on laisserait choir – de manière totalement inconséquente – un établissement du format de Lehman Brothers. Bien peu auraient été en situation d'imaginer la thrombose qui a atteint le marché interbancaire.
Le risque interbancaire maintenu
De la cupidité des hommes est née une crise durable : à meilleure preuve, les volumes de liquidités que les banques commerciales confient quotidiennement aux banques centrales de 2016, méfiantes qu'elles sont de la réalité de leurs concurrentes. Elles préfèrent un taux négatif au risque interbancaire ce qui en dit long sur leur configuration analytique de la situation concrète.
Le trident de la défiance
1 ) Nous sommes confrontés au plan bancaire à une crise des conditions de la création monétaire. L'incertitude du créancier quant à la qualité de ses contreparties, alliée à des normes sectorielles probablement élaborées trop drastiquement induisent un resserrement du crédit et un étranglement de l'économie réelle. Les statistiques avancées sont souvent trompeuses : on nous dit qu'il n'y a pas de " credit-crunch " mais on omet de citer loyalement la multitude de cas où les demandes de prêts à faible occurrence d'aboutissement ne sont pas prises en compte. Idem pour l'autocensure des dirigeants qui ne vont pas jusqu'à formuler leurs demandes. Seules des personnes du rang de l'ancien gouverneur Christian Noyer ( déclaration écrite du 5 Juillet 2014, Aix-en-Provence ) ont eu la lucidité et la témérité d'un discours de vérité.
2 ) Or, en économie moderne, l'essentiel de la création monétaire est bancaire. Face à ce blocage, le monde a inventé la notion de " quantitative easing " ( QE ) qui donne aux banques centrales la mission de procéder à des rachats d'actifs moyennant une injection de liquidités. Cette deuxième branche du trident fait désormais l'objet d'une défiance digne de celle qu'inspire une pompe à morphine erratique pour au moins deux raisons. D'une part, la qualité des actifs éligibles à la politique de rachat ne manque pas de poser question ( voir future réunion de la BCE de mars prochain ? ). D'autre part, la transmission verticale supposée de ces liquidités vers des projets tangibles de l'économie réelle a sous-estimé l'épaisseur du papier buvard des banques souvent en quête de restauration de la qualité de leurs états bilanciels, engagements hors-bilan inclus. Des injections brutes de la FED ou surtout de la BCE, il faut visualiser les freintes qui mènent aux valeurs disponibles nettes.
3 ) Désormais, troisième pointe du trident, c'est bien le statut de la création monétaire qui est en jeu. Cela n'a rien à voir avec une crise financière et une dépréciation sous oscillations de diverses valeurs sur les marchés. Il s'agit d'une inquiétude sur la pierre angulaire du système capitaliste que constitue la monnaie d'où les tensions présentes entre les devises phares.
On a tué la valeur de la rémunération de l'argent par la diffusion massive de taux epsilon voire négatifs : le système l'a intégré et nous lance un boomerang nommé déflation découlant des trappes à liquidités ainsi générées.
Le carburant de la déflation à venir
1) Des milliards injectés par le QE n'ont pas fait repartir la moindre dynamique inflationniste et tel est bien le défi pour Mario Draghi ou son homologue nippon. C'est une illustration incontestable de la virulence des forces déflationnistes.
2 ) Dans un temps contrarié, chaque agent cherche la meilleure opportunité. Autrement dit, il y a un effet d'opportunité considérable en faveur d'un " massacre des valeurs ", d'une quête pour le prix bas. Au plan sectoriel, chacun peut prendre un catalogue de prix 2013 et regarder son équivalent pour 2016. Oui, la contraction des marges et l'effondrement des prix sont des réalités que l'agriculture et l'industrie connaissent avec brutalité sans parler de certains services. Plus la crainte de l'avenir du consommateur sera étayée, plus celui-ci sera exigeant à l'extrême face au producteur.
L'heure de vérité pour l'Euro
S'agissant de destruction de valeurs, il y a une question centrale : jusqu'à quel seuil l'euro suscitera-t-il de la confiance ( monnaie de réserve ) alors que le bilan joufflu de son Institut d'émission ne le justifie déjà probablement plus ?
Rien ne garantit en effet qu'une large crise de défiance ne vienne pas affecter les détenteurs de la monnaie européenne si ceux-ci considèrent que le bilan de la BCE contient un taux jugé excessif de non-valeurs potentielles : on parle déjà de créances douteuses détenues par des banques italiennes.
Le tunnel de conformité des valeurs
En économie, chaque valeur se situe dans ce que je nomme un " tunnel de conformité " : en-deçà d'un certain prix, les inconvénients l'emportent sur les avantages initiaux de l'acheteur. Tout le monde a exulté face à un baril de brent à 35 dollars, désormais on dénombre des faillites de producteurs de gaz de schistes ( et une bulle corrélative d'endettement aux Etats-Unis ) et des difficultés lourdes chez certains émergents ou chez Technip et Vallourec.
La migration numérique est un cap délicat
La formidable révolution numérique qui tord chaque jour davantage le cou du mythe grognon de la stagnation séculaire ( et nous impose de revoir les fondements de nos agrégats nationaux pour repérer la nouvelle croissance, par exemple en actualisant les travaux de Bernard Walliser sur les indicateurs ) s'accompagne d'une remise en cause de bien des chaînes de valeur, tous secteurs confondus. Ceci, dans un premier temps, présente un versant déflationniste et là encore une compression des marges. C'est un point systémique.
Trois points de théorie économique
1 ) La théorie économique est muette quant aux politiques non-conventionnelles des Banques centrales. Jusqu'où peut-on aller ? Comment sortir graduellement d'une phase de QE ? Est-il crédible de la mener dans une " zone monétaire non optimale " ( Robert Mundell ) telle que celle formée par l'euroland ?
2 ) Depuis 1911, Irving Fischer a établi une célèbre équation : MV = PT où le volume des transactions ( T ) et la vitesse de circulation ( V ) sont donnés, le niveau des prix (P ) est alors déterminé par le stock de monnaie (M ). En ce moment précis, le stock de monnaie est inflationniste et la vitesse de circulation monétaire très accrue. Idem pour le volume des transactions à l'heure du shadow banking ou autre trading haute fréquence. C'est alors le niveau des prix qui devient le maillon faible à titre systémique.
3) Dans sa fine analyse de la théorie du cycle d'activité, Knut Wicksell indique qu'en période de dépression, la baisse des prix accroit le pouvoir d'achat des encaisses déjà constituées. Cet effet induit une augmentation de la demande et jugule la déflation. Hélas, entre cette approche du XXème siècle et notre nouveau monde, il y a la tendance à la désintermédiation financière qui rend vulnérables les agents d'autant plus liquides sur les marchés ce qui rendra 2016 fort abrasive. D'autant que les normes comptables et les constations obligatoires de dépréciations qu'elles vont imposer auront un évident rôle pro-cyclique qui noircira encore le panorama.