De l'innovation : paramètre vital.
Un consensus objectif existe entre chercheurs, théoriciens et hommes et femmes d'entreprise pour élever l'innovation au rang de paramètre vital pour nos économies occidentales et particulièrement pour la France. La présente contribution est la synthèse d'une étude approfondie de ARCHER 58 RESEARCH développée devant l'Ecole des Mines d'Alès le 30 mai 2013 après première analyse par le Minefi.
Quatre temps forts articulent l'énoncé de cette étude :
- Il faut d'abord formuler des définitions croisées et complémentaires de l'innovation.
- Puis il faut mettre en dynamique des approches.
- Alors peut émerger la question de l'élaboration subtile de l'innovation.
- Enfin, nous pourrons réfléchir à une question-clef : que nomme-t-on succès ou victoire pour une innovation ?
1 ) LES DEFINITIONS CROISEES DE L'INNOVATION :
Remarque préliminaire :
L'innovation est un concept que l'on croit connaitre : spontanément, nous avons tous en tête une représentation du mot innovation mais sommes-nous certains de bien nous approprier ce concept, de véritablement l'objectiver ?
L'innovation est en effet un mot tellement usuel de notre langage qu'il faut éviter de tomber dans des " faux-sens" ou dans des explications incomplètes.
Méthode :
Prenons donc six définitions issues de sources qualifiables de fiables :
- Wikipédia et l'INSEE qui vont nous adresser au manuel d'Oslo de l'OCDE.
- Définition de l'Université de la firme d'audit Deloitte.
- Définition du fondateur de Danone : Antoine Riboud.
- Définition du publicitaire David Ogilvy.
1.1 ) Définition selon Wikipédia :
" L'innovation est une dynamique permanente d'amélioration créative incitant les entreprises à innover, c'est à dire à concevoir et à lancer continuellement, sur un marché concurrentiel, de nouveaux produits, services, etc ".
1.2 ) Définition de l'INSEE qui renvoie au manuel d'Oslo de l'OCDE :
" La dernière version du manuel d'Oslo définit quatre catégories d'innovations :
- de produit ou de prestation ( quand il s'agit d'une entreprise du commerce ou des services ) : création d'un nouveau produit ou offre d'une nouvelle prestation commerciale ou de service;
- de procédé : mise en œuvre de nouvelles techniques pour la production de biens ou la réalisation de prestations de services;
- d'organisation ( exemples des cercles de qualité );
- de marketing ( exemples de la franchise ou de la vente sur internet ).
1.3 ) Définition issue du manuel d'Oslo :
" L'innovation est la mise en œuvre ( " the implementation " ) – la commercialisation ou l'implantation – par une entreprise, et pour la première fois, d'un produit ( bien ou service ) ou d'un procédé ( de production ) nouveau ou sensiblement amélioré, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d'une entreprise, l'organisation du lieu de travail ou les relations avec l'extérieur ".
Source : manuel d'Oslo, 3ème édition, " Principes directeurs pour le recueil et l'interprétation des données sur l'innovation ". Ce manuel est actualisé au moyen de vagues d'enquêtes auprès – notamment – des entreprises sur l'impact de l'innovation, par exemple sur la compétitivité. On retrouve, en filigrane, cette définition dans certaines sections du rapport Gallois de l'automne 2012.
1.4 ) Définition selon l'Université de la firme d'audit Deloitte :
Au sein de " Deloitte University Press ", Michael E. Raynor a, le 12 mars 2013, traité des " Perspectives concernant l'innovation " et a ainsi énoncé la définition suivante : " L'innovation n'est pas un talisman mais un outil afin de créer et de capturer une nouvelle valeur ajoutée sur des marchés de plus en plus concurrentiels et aux évolutions rapides. Ainsi, qu'est-ce que l'innovation ? Une innovation est n'importe quelle combinaison d'activités ou de technologies qui permet de dépasser les performances actuelles de l'échange dans la perspective d'un résultat et d'une manière qui accroit le champ des possibles ". On notera le caractère minutieux et exhaustif de cette approche.
1.5 ) L'innovation définie par Antoine Riboud, fondateur de Danone :
" L'innovation est une alliance entre recherche, marketing, instinct, imagination, produit et courage industriel ". Cette séquence de mots-clefs nous parait remarquablement appropriée notamment le triptyque : alliance, instinct, courage. L'innovation détient une composante irrationnelle dans son élaboration comme dans la décision du dirigeant qui décide de la poursuivre.
1.6 ) L'innovation définie par David Ogilvy, fondateur du réseau mondial Ogilvy & Mather :
" Encouragez l'innovation. Le changement est notre force vitale, la stagnation notre glas ". Le contexte français de décrochage de compétitivité dû pour partie à l'obsolescence de nos produits a un effet miroir avec cette définition.
1.7 ) Premières déductions :
1.7.1 ) Croisement de variables :
L'innovation est donc un fait tangible, admis comme tel, qui vient du croisement de plusieurs variables essentielles : buts stratégiques de l'entreprise, créativité, vision du marché, génération d'idées nouvelles, capacités de décision collective, etc.
1.7.2 ) Difficultés de repérage comptable exhaustif :
L'innovation est le plus souvent difficile à traduire dans les états financiers annuels. Prenons le cas des " immobilisations incorporelles générées en interne ". Classiquement, une immobilisation incorporelle est un actif non monétaire sans substance physique ( brevet, savoir-faire ) qui est identifiable, générateur d'avantages économiques futurs et dont le coût est évalué de manière fiable ( source : Plan Comptable Général ). Mais, on doit constater qu'il n'existe pas encore de définition des coûts de développement. Selon la norme I.A.S 38.6 : " le développement est l'application des résultats de la recherche ou d'autres connaissances à un plan ou à un modèle en vue de la production de matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes ou services nouveaux ou substantiellement améliorés, avant le commencement de leur production commerciale ou de leur utilisation. "
Comment comptabiliser des coûts de développement en immobilisations ou en charges ?
Selon l'avis du CNC N°2004-15, il faut distinguer la phase de recherche de la phase de développement. Les définitions précises ne sont pas détaillées et il faut donc se reporter à un document du CNC de 1974 ( CNC N°2 ). Pour simplifier, cela revient à tracer une frontière entre les activités " visant à obtenir de nouvelles connaissances " et le développement dit " expérimental ". Alors intervient un point véritablement important : selon le PCG en son article 311-3.4, bien souvent l'inscription en charges l'emporte sur la possibilité d'immobilisation des dépenses engagées.
Ainsi quand l'entreprise ne parvient pas à établir avec précision une distinction entre la phase de recherche et la phase de développement, la dépense engagée pour ce projet doit ( ndlr : doit ) être considérée comme rattachée à la seule phase de recherche. En conséquence, elle ne peut pas être immobilisée ce qui nuit au total d'actif de l'entité ( valeur bilancielle minorée ) et vient donc impacter son compte de résultat ( taux de marge ) puisqu'il s'agit alors d'une charge.
En conséquence, cela signifie que lorsque nous lisons des statistiques sur le budget R & D des grands groupes français, il faut absolument garder à l'esprit qu'il n'y a pas forcément exhaustivité car la communication porte la plupart du temps sur les montants immobilisés majorés de quelques charges mais n'incluant presque jamais les charges directement liées à la phase de pré-recherche.
Du nouveau bloc optique au xénon de Valéo en passant par un logiciel développé en interne par AXA Banque, on comprend aisément l'enjeu de ce qui vient de vous être décrit.
1.7.3 ) Illustrations micro et macro-économiques de ce qui précède :
Point symptomatique de l'importance de l'innovation, le rapport annuel de L'Air liquide est dénommé " Innove " et a pour fil rouge l'innovation. Sur plus de 15,3 milliards de chiffre d'affaires, le groupe nous indique avoir dédié 257 millions d'euros pour l'innovation en 2012 soit 1,7% de son chiffre d'affaires. Or si l'on prend le tableau qui décrit les immobilisations ( valeurs brutes au 30 juin 2011 ) , on constate que les " immobilisations incorporelles générées en interne ( telles que les dépôts de brevets ) s'élevaient à 263 millions d'euros au 30 décembre 2010 et n'ont augmenté que 7,7 millions d'où le total de 271 millions d'euros en valeur au 30 juin 2011. Immédiatement, on détecte la besoin de réforme comptable qui allègerait les comptes de résultat et renforcerait le prix " at book-value " des firmes françaises.
Notre étude a abouti aux mêmes conclusions techniques pour ce qui concerne Nestlé ou L'Oréal et des PME de notre échantillon.
Au plan macro-économique, cela signifie que les 2,25% que la France consacre à ses budget R & D ( 0,82% du PIB pour les entités publiques et 1,43 pour le secteur des entreprises ), loin des 3% pour 2020 de l'objectif du sommet européen de Barcelone, méritent d'être revisités au plan de leur contenu effectif. Selon nous, il y a déperdition et décompte partiel car il est impossible, dans le rythme de vie des entreprises, de raisonner en coûts complets quand on prend un poste aussi imprécis que l'innovation qui est ventilé sur plusieurs éléments de la nomenclature des comptes.
Ce correctif comptable un peu austère masque un enjeu de taille et nous conduit à garder en mémoire que le total des dépenses dédiées à l'innovation réellement engagé est à concevoir avec précaution.
2 ) LA MISE EN DYNAMIQUE DES CES APPROCHES DE L'INNOVATION :
2.1 ) Le caractère pluriel de l'innovation :
L'innovation est d'essence plurielle : ainsi, sous le même mot digne d'une marque ombrelle, vous trouverez des avancées révolutionnaires ou de simples améliorations ponctuelles.
Le concept d'innovation oblige donc à distinguer entre les innovations graduelles et incrémentales ( nouvel emballage alimentaire : packaging plus attractif ) et des innovations de rupture ( break-through ) comme l'invention de la carte à puce par Roland Moreno qui a révolutionné des dizaines de secteurs : cartes de paiement, carte Vitale, cartes de stationnement, badges d'accès, etc.
Moyen de survie ou moyen d'expansion impressionnante, l'innovation n'est donc pas uniforme. Pour notre part, nous parlons de " curseur d'intensité " de l'innovation en reliant cette notion à la valeur ajoutée comptable que l'innovation considérée permet de générer.
2.2 ) L'innovation et la notion de facteur résiduel :
Une entreprise est caractérisée par la pertinence de sa fonction de production : autrement dit, par l'alchimie qui se produit entre le capital et le travail. Des travaux des années 70 ( Carré, Dubois et Malinvaud – ex –INSEE ) et de Robert Solow ainsi qu'un rapport de 1987 ont montré l'importance d'un facteur additionnel nommé le facteur résiduel. Ce facteur regroupe le progrès technique, les externalités positives ( niveau de formation de la main d'œuvre, proximité d'infrastructures de transport à côté du site de production, etc ) et l'organisation.
Ainsi, dans le rapport de l'ancien éminent président de L'Oréal François Dalle rédigé avec Jean Bounine, il est indiqué ( p.68 ) : " Une entreprise ne se limite pas à la simple juxtaposition de capital et de travail. Une entreprise, c'est du capital, du travail et une organisation composante essentielle du facteur résiduel des économistes. " ( " Pour développer l'emploi ", mai 1987 ).
2.3 ) L'innovation et la fertilisation croisée :
Si l'innovation part bien entendu de la créativité, si elle se nourrit de nos idées, elle doit avoir un terrain d'atterrissage favorable. Autrement dit, l'innovation nous lance au visage le défi de nos organisations et nous contraint à remettre les choses à plat pour être en mesure de se déployer et de devenir un véritable actif pour l'entreprise.
D'ailleurs, pour le devenir, l'innovation impose une logique de partage de connaissances et de fertilisation croisée. Notons que c'est André Giraud, ministre remarqué de l'industrie puis de la défense qui a employé ce terme de manière précoce. Ainsi, lors d'Innova ( 5ème semaine mondiale de l'innovation en date du 6 avril 1981 ) il déclarait : " Dans ses perspectives, l'innovation doit permettre le développement des échanges entre les entreprises et la recherche par une fertilisation croisée et par ne adaptation des organisations ". C'est exactement cette mutualisation des efforts de recherche que mènent des organisations comme " France Clusters " et autres entités autour des pôles de compétitivité.
André Giraud avait une affection particulière pour le CEA ( Commissariat à l'Energie atomique ) : est-on certain, à ce jour, que les 1.750 filiales que compte ce groupe soient en disposition de fertilisation croisée ? L'expérience nous a rapporté que la réponse est loin d'être positive au point d'éloigner des co-investisseurs du niveau du groupe américain Starwood.
2.4 ) L'innovation et le facteur-temps :
C'est une variable délicate, presque sournoise, pour l'innovation. Si votre innovation est trop en avance au regard des idées et attentes du consommateur, vous êtes " techno-push " et ne rencontrez pas de marché signifiant. Si votre innovation arrive au moment où les attentes du consommateur s'éveillent, vous êtes " primo-entrant " sur le marché et faîtes la course en tête au nom de l'application de la loi des débouchés de J-B Say : " L'offre crée sa propre demande ". Souvenons-nous aussi du malicieux slogan publicitaire de Sony du temps de sa splendeur : " J'en ai rêvé, Sony l'a fait ".
L'innovation entretient donc un rapport complexe au temps car il faut maîtriser le " time-to-market " ( variable interne ) et le lancement au bon moment afin d'être " market-pull" .
3 ) L'ELABORATION SUBTILE DE L'INNOVATION :
3.1 ) La pyramide du couplage favorable :
Trois familles d'acteurs se retrouvent autour de l'innovation : l'innovateur ( en haut de la pyramide ) et le décideur puis les parties prenantes ( la fabrication, par exemple ) comme socle, comme points d'appui de la pyramide.
Il doit y avoir un couplage cognitif, une complicité intellectuelle entre l'innovateur et le décideur sinon rien ne passera au stade de l'élaboration opérationnelle. En ces temps de tensions de trésorerie et de carnet de commandes presque " flat ", il est clair qu'il faut que l'innovateur soit doté d'un talent de conviction et de persuasion au regard du décideur ultime.
Parallèlement, il doit y avoir un couplage de réalisation entre les parties prenantes et l'innovateur, entre le monde de la fabrication et celui de la création. Bien souvent, en France, les deux mondes ont une certaine étanchéité qui est un paradoxe et un inconvénient.
Enfin, il doit exister un couplage technique solide entre le décideur et les parties prenantes : autrement dit, entre celui qui donne le feu vert et ceux qui ont élaboré le chiffrage exact du lancement.
3.2 ) Le basculement intérieur :
Roland Moreno, génial inventeur de la carte à puce, a écrit en 1990 ( dans " La théorie du bordel ambiant " ) : " Plus on s'ouvre aux innovations, plus on prend le risque de n'être qu'une coquille de noix ballottée d'une théorie à une autre, abandonnant sans cesse son explication du monde, son système de valeurs, de références ". Oui, l'innovateur est nécessairement contraint à un basculement intérieur. De même, le fruit de son travail de recherche peut contraindre l'entreprise à une remise à plat de certains process : formatage des outillages, formation des personnels, motivation des forces de vente, flux de dématérialisation des pièces comptables, etc.
A partir d'une génération d'idées, d'une découverte, il faut un ensemble de micro-décisions pour parvenir, avec le soutien du décideur et des parties prenantes, à l'émergence palpable de l'innovation. Etant entendu que se pose toujours la question centrale de l'irréversibilité de l'innovation : il y a un point de non-retour dans toute innovation et Renault, par exemple, aurait du le respecter plutôt que de lancer hasardeusement l'Avantime qui contribuera à la fermeture socialement désastreuse du site de Romorantin.
3.3 ) Partenariats et intelligence économique ;
Notre étude nous a conduit à confirmer que bien des innovations sont le fruit de partenariats entre entreprises ce qui pose d'évidentes questions de confidentialité, de maîtrise du know-how et donc de l'intelligence économique. Pour indispensables que soient ces coopérations, elles impliquent donc une vigilance : pillage d'idées en cours de cheminement, contrefaçons.
3.4 ) L'élaboration d'une innovation doit rimer avec libération :
Au risque de remettre en cause certains aspects hiérarchiques, l'innovation doit être un acte de libération. Pour résumer cette section de notre étude, nous rappelons la formidable et si appropriée phrase de l'Encyclopédiste Denis Diderot ( Pensées, 1746 ) : " Je pense que nous avons plus d'idées que de mots. Combien de choses senties et qui ne sont pas nommées ! ".
3.5 ) L'élaboration d'une innovation et la pensée vagabonde :
Le brillant éditeur Marcel Jullian ( ancien président d'Antenne 2 ) avait lancé une collection intitulée Vagabondages. A l'époque bien des sourires en coin avaient accueilli cette initiative. Et pourtant, des années après des firmes comme Google, Apple et Microsoft imposent à leurs collaborateurs des temps de réflexion libre, des moments de " wandering thinking ", de pensées vagabondes au sein desquels la sérendipité peut trouver à prospérer.
On retrouve ici la notion de découverte inopinée, fruit du hasard plus que de la recherche méthodique et jalonnée : exemple célèbre du Post-it découvert fortuitement. Par culture, par système cartésien de formation de ses élites, par manque de mixité sociale ou autres paramètres sociologiques, la France présente un manque à gagner que l'on retrouve dans le nombre comparativement limité de brevets déposés.
3.6 ) L'élaboration d'une innovation et le refus de l'autopoïèse :
Est de nature autopoïètique, une entreprise ou une entité publique qui forme un " système qui se suffit à lui-même, qui puise dans son organisation à la fois ses causes et ses effets ". Cette notion est issue des travaux du sociologue et juriste allemand ( 1927 – 1998 ) Niklas Luhmann et nous semble essentielle car bien des analyses de firmes rapportent que leurs cellules d'innovations sont encore trop soumises au syndrome du vase hermétique.
Or ce type de bocal étanche ne permet pas à l'innovation de déployer sa pleine puissance. Comme disent les Anglo-Saxons, il faut savoir penser en-dehors du référentiel ambiant et dominant : " Think outside the box ! ". On revient là à un moment fort de l'émission Heure de vérité ( France 2 ) d'Antoine Riboud d'octobre 1989 qui montrait l'importance de l'irrationnel dans l'entreprise qui gagne.
Exemple de refus d'autopoïèse, les travaux réalisés de concert entre l'institut Carnot " ESP " ( 34 au total en France regroupant 19.000 professionnels de la recherche ) et le groupe Nexans qui sont parvenus à élaborer une nouvel alliage d'aluminium pour conducteurs électriques. Avantage immédiat ? Cette innovation permet aux lignes électriques haute tension d'accepter de fortes surcharges de courant lors des pics de consommation et d'étoffer le réseau sans construction nouvelle.
3.7 ) L'élaboration d'une innovation et le respect d'autrui :
La crise économique qui s'étire en longueur et s'approfondit dans ses méfaits sociaux ne nous rend guère disponible à l'autre. Les médecins du travail constituent des vigies qui voient monter l'intolérance et les fatigues psychiques dans les firmes. Dès lors, en matière d'innovation, il est requis de respecter autrui qui peut être le porteur de la brique manquante, de la pièce indispensable du puzzle. Ceci impose de générer une capacité de travail collectif où la France n'est pas toujours la mieux placée. La " task force " n'est pas notre première ligne de force notamment du fait de notre incapacité à vouloir savoir jouer collectif. Souvenons-nous de cette phrase de 1883 de Jules Renard ( dans son " Journal " ) : " La conversation est un jeu de sécateur, où chacun taille la voix du voisin aussitôt qu'elle pousse ".
Le respect d'autrui passe aussi par la recherche d'innovations dites frugales ou sobres qui respectent l'environnement et la rareté des ressources. Ayant eu la chance de travailler en 1985 auprès d'Antoine Bernheim ( Lazard Frères ) et Gérard Seul ( Groupe de distribution Euromarché ) sur le projet de fusion avec Carrefour, il m'est toujours resté en mémoire la logique économe en ressources de ces leaders. L'un et l'autre avaient des cursus bien différents mais respectaient le " team spirit " tout autant que le " bottom-line ".
D'ailleurs, pour qui lit fidèlement Joseph Schumpeter ( Théorie de l'évolution économique, 1913 ) il est établi que l'innovation est d'abord un choc primaire à un endroit de la chaîne de valeur avant de se diffuser, par itérations, en grappes connexes d'innovation. Cette innovation digne d'un ricochet de cailloux à la surface de l'eau suppose une mobilisation et un respect de l'ensemble des forces vives de l'entreprise.
4 ) SUCCES OU VICTOIRE POUR L'INNOVATION ?
4.1 ) L'innovation est souvent difficile à évaluer en termes de succès :
4.1.1 ) L'innovation est un succès si elle apporte un gain qui peut être matériel ( moins de matières consommées, gains financiers directs, etc ) ou immatériel ( gains de temps, " convenience ", etc ).
4.1.2 ) Sa mesure n'est pas si simple car il est d'abord difficile d'établir le coût complet de sa création : tout n'est pas quantifié et répertorié ( durée des réunions, protypes, etc ) et il est donc délicat d'établir un bilan coûts / avantages.
4.1.3 ) Certaines innovations d'organisation qui soulagent opportunément les efforts des salariés au travail ( meilleure ergonomie ) se retrouvent dans des chiffres d'arrêt-maladie, ou d'absentéisme. Là encore, les rapprochements chiffrés supposent méthode et prudence.
4.1.4 ) Comment chiffrer une organisation innovante qui permet de mieux résoudre les problèmes auxquels la firme est confrontée ? Là encore, l'économie des conventions et les risques d'asymétrie d'information ( G. Ackerlof ) viennent fausser le chiffrage hâtif.
4.2 ) L'innovation et le syndrome des oubliettes :
" Les laboratoires de R & D des grands groupes mettent au point nombre d'innovations potentielles qui, si elles ne trouvent pas leur place au sein du groupe, sont tuées en interne pour des raisons d'allocation des ressources, de marché potentiel marginal par rapport à l'activité du groupe, ou tout simplement de non-alignement avec la stratégie du groupe ". Cette analyse issue de la Recommandation 3 du Rapport Beylat – Tambourin d'avril 2013 sur l'innovation nous semble hélas capitale pour notre pays.
Face à ce syndrome des oubliettes des innovations laissées de côté, nous devons bâtir un schéma national, par branches, d'essaimage. Une bourse d'échange fondée sur ce que les juristes appellent, dans une société civile, les apports en industrie. Nul n'ose se livrer à un chiffrage du manque à gagner de ces oubliettes ce qui prouve l'embarras des économistes comme des praticiens ( CCI, Anvar, etc ).
4.3 ) L'innovation et la persévérance voire le rêve :
En matière d'innovation, il est clairement difficile de décrypter, de connaître les ressorts ultimes de la nature humaine qui accepte le tâtonnement et l'échec dans l'espoir secret d'aboutir. Oui, l'être humain est manifestement porteur de ce que nous nommons : " l'énigme de la persévérance malgré l'adversité ".
L'innovation ne saurait exister sans recours à une dimension rationnelle mais elle relève aussi de nos instincts intuitifs pilotés par l'hémisphère droit de notre cerveau. Il faut donc intellectuellement accepter le recours possible au rêve, la projection vers l'impossible en théorie afin d'avancer concrètement vers l'innovation.
Lorsque Pierre Latécoère ( aéronautique ) a lancé la ligne d'Amérique du Sud, personne n'y croyait d'où sa célèbre phrase : " Les calculs de mes ingénieurs sont formels : le projet est irréalisable. Il ne nous reste qu'une chose à faire : le réaliser ".
Cette dimension d'appel indirect au rêve est établi par les travaux de plusieurs chercheurs en neurosciences et nous mènent à la célèbre notion définie par Carl Jung au sujet des images hypnagogiques : celles qui apparaissent dans la phase intermédiaire entre la veille et le sommeil ou lors de l'immédiat réveil.
D'ailleurs des méthodes à fondement scientifique ( C-K Design Theory développée en 2003 par Hatchuel et Weil ) sont utilisées au sein de l'Ecole des mines Paris Tech, Vallourec, Volvo, Ratp ou Thalès afin détecter les interactions entre l'espace des concepts et celui des connaissances.
Parallèlement, il existe des outils reconnus qui reposent sur notre faculté à établir des connexions entre des mots-clefs ( petite taille, beauté, connectivité, smartphones ) et ainsi s'en remettre à une carte heuristique ( voir celle de Tony Buzan, 1971 ) par opposition à une " concept map " qui vise à provoquer des associations conceptuelles et repose donc sur le déroulé d'une pensée à prétention logique.
4.4 ) L'innovation prise à rebours par la quête de solution ;
A partir de méthodes de retour d'expériences ou de l'Amdec ( Analyse des modes de défaillance et de leurs effets et de leur criticité ), des difficultés opérationnelles sont recensées et le travail de l'innovateur est alors pris à rebours. Sa démarche est bien entendu toujours créative mais il est essentiellement en quête de solution, de résolution de problèmes et non plus de " pures " améliorations de l'existant.
Aucune étude convergente ne permet de conclure sur l'intensité de la stimulation humaine : nous sommes aussi doués pour inventer face à l'avenir que pour résoudre un dysfonctionnement. En revanche, il est avéré par les neurosciences que les individus sont inégaux au regard de la pierre angulaire de l'innovation qui a pour nom : l'inspiration. C'est ce qui ressort d'une analyse qualitative de l'intéressant indicateur développé par Daniela Benavente au sein du eLab de l'INSEAD : le G.I.I : Global Innovation Index qui place la France au 22ème rang sur 120 pays étudiés. Les trois premiers étant la Suisse, la Suède et Singapour.
Conclusion :
Les travaux de Kanien et Schwartz en 1982 puis de Symeonidis en 1996 ont établi qu'il n'y a pas de lien évident entre l'indicateur d'innovation et la taille des firmes. Avec un système d'aides publiques étoffé, une recherche de l'essor des ETI et la montée en puissance des pôles de compétitivité en 2004, notre pays et ses entreprises ont des marges de manœuvre face aux opportunités qu'ouvrent l'innovation.
Notre étude est globalement tournée vers des conclusions prometteuses mais a rencontré, à plusieurs reprises, une difficulté que le président Henri Lachmann ( Schneider Electric ) a formulée dès 2011 dans un rapport de l'Institut Montaigne intitulé : " Adapter la formation des ingénieurs à la mondialisation " : il stigmatisait vertement la " cupidité " des ingénieurs qui rejoignent en masse le monde de la finance au détriment des centres d'activité industrielle de notre Europe.
Dans toutes les hypothèses, l'innovation aboutie suit une théorie de cycle de vie du produit de Raymond Vernon comme l'a démontré le " Hype cycle " développé et mis en évidence par le Gartner group. Autant dire que ce n'est pas un processus linéaire ni lors de son élaboration, ni lors de son déploiement ni au cours de son existence qui suscite parfois des engouements exagérés au regard des attentes réelles du marché.
Jean-Yves ARCHER
Economiste
Vice-Président de la SAIMA
( Société des Amis de l'Institut du Monde Arabe )
cabinetarcher@orange.fr
Vendredi 26 juillet 2013
http://dupress.com/articles/introducing-on-innovation/
http://www.innover-en-france.com/Rapport-Beylat-Tambourin-19-recommandations-pour-stimuler-l-innovation_a125.html