Ressac du premier ministrable Cahuzac
L'affaire des avoirs illégalement détenus à l'étranger de Jérôme Cahuzac devrait inciter à la prudence puisqu'elle est actuellement instruite et que la présomption d'innocence se justifie de plein droit. Sauf....
.....Sauf que, dans le cas présent, l'intéressé a réalisé la production d'aveux ce qui balaye la notion d'innocence et permet tous les commentaires qui sont actuellement émis et relayés sur bien des supports.
Sur cette affaire Cahuzac, il y a d'abord les faits générateurs qui induisent trois questions d'importance certaine :
1 ) Un chirurgien ambitieux aurait perçu des commissions de laboratoires pharmaceutiques ( ou des honoraires de consultants ) afin de faciliter des autorisations administratives ce qui matérialise ou frôle ( ? ) la concussion pour les fonctionnaires liés à Monsieur Cahuzac et l'emmène, quant à lui, vers le trafic d'influence voire pire. Quand l'opinion a découvert certaines méthodes commerciales de Servier ( Médiator ), elle s'est légitimement émue. Il y a fort à parier que ce volet du dossier sera finalement plus nauséabond que l'affaire fiscale.
2 ) Des sommes dégagées par ces lucratives activités, le Docteur Cahuzac a déduit qu'il convenait qu'elles échappent à l'impôt via la Suisse puis via Singapour : ce changement de pays montrant bien l'intention avérée d'évasion fiscale réitérée. Cela ne manque pas de poser une question pratique à forte implication juridique. Touchait-il ses sommes en France ( et sous quelles formes ? ) avant de les faire transférer en Suisse ou était-il parfois directement le bénéficiaire de montants versés en Suisse, ce qui impliquerait le délit de complicité d'évasion fiscale pour ses clients, donc pour des laboratoires : si oui, lesquels ?
3 ) Pour qui connait le monde des affaires et l'importance des intérêts et participations du Docteur Cahuzac dans diverses structures, la somme de 600.000 euros ne manque pas d'intriguer et de paraître étriquée au regard des " possibilités " qu'avait l'intéressé. Souvenons-nous du scandale de l'ARC ( cancer ) et de la réalité finalement établie des sommes détournées par l'infréquentable Jacques Crozemarie.
Après ces trois questions de la vie des affaires, se posent trois questions de science politique :
1 ) Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a déclaré Mardi 2 avril sur France 2 ( jour anniversaire du décès du Président Georges Pompidou ) que les ministres signaient une charte de déontologie et une déclaration sur l'honneur quant à leur patrimoine. Chacun voit la superbe portée opérationnelle de ce dispositif. A l'ère de la mondialisation, tout auditeur - même junior - sait que les flux internationaux sont très difficilement décelables : ce qui explique d'ailleurs l'aplomb et le poids du mensonge du désormais mis en examen. Il pensait être hors de portée de tout.
Une Charte ne vaut donc pas une Loi et il a fallu l'affaire Cahuzac pour que le Président Hollande, garant de la hiérarchie des normes, accepte de s'en rendre laborieusement compte.
2 ) Le 13 novembre 2012, le Président déclare que " l'économie n'aime pas les chocs " par référence au " choc de compétitivité " réclamé par le rapport Gallois. Le 28 mars 2013, le Président avance la notion de " choc de simplification " pour les tâches administratives des entreprises. Tiens, le mot choc revient en grâce ? Le matin du mercredi 3 avril 2013, le Président - dans une brève séquence enregistrée - nous dit que cette affaire est un " choc ". L'Elysée vit donc désormais avec le mot choc comme slogan passe-partout tandis que la grande majorité de la Nation vit l'élection de cette personne comme un choc, comme une déception voire un deuil ( de Madame Aubry, de DSK, de Nicolas Sarkozy, etc ).
La Vème République a confié un mandat à ce chef de l'Etat : il n'est plus, sur le terrain de la légitimité, pleinement président de la République pour un temps que seul le sablier politique va mesurer et lui imposer.
3 ) Comme l'a toujours écrit Jean-Pierre Chevènement ou Alain Peyrefitte, la République est aussi précieuse que fragile et s'accommode mal de l'improvisation permanente pour ne pas dire plus. Après ces questions de science politique, il est requis de poser des points de réflexion d'ordre strictement politique voire politicien :
1 ) Jérôme Cahuzac était véritablement hollando-compatible et le Président a perdu un atout. Oui, un atout pour Matignon où l'actuel locataire ne parvient pas à s'imposer : il survit, tout au plus. Le ministre Cahuzac savait que s'il gagnait un peu la bataille de la rigueur, un destin s'ouvrait à lui. Son mensonge incroyable vient de sa volonté de protéger ses chances de conquérir un destin national. Dès lors qu'une telle complicité intellectuelle et une amitié existaient entre les sieurs Hollande et Cahuzac, " où s'arrête la chaîne du mensonge ? " comme l'a clairement exprimé Jean-Luc Mélenchon puis Jean-François Copé.
2 ) Si un ministre peut mentir sans contrariété à notre Président, que doit-on penser de la perspicacité du Chef de l'Etat ? " No comment " soufflent certains esprits adeptes de perfidie.
3 ) Unilever ( conflit social du thé L'Eléphant ) et Peugeot ( Aulnay-Sous-Bois ) ont marqué le tournant d'un certain réalisme industriel. Cette affaire Cahuzac montre un tournant au sein d'une large part de la classe politique où le mot méfiance réciproque va faire florès. Ce monde où on ne compte que peu d'amis va désormais passer au tamis des vérifications les affirmations des uns et des autres. Piètre résultat.
4 ) L'équipe ministérielle paraissait déjà usée, cette affaire l'essore et elle est loin d'être judiciairement finie : telle est notre conviction à l'aune du talent incontestable de Maître Jean Veil. Pour conclure, la politique compte - comme dans toute activité humaine - son lot d'indélicats. Dans le cas présent, la vie d'un homme est marquée au fer rouge du logo d'un feu rouge car à son détriment le mot de Cahuzac va devenir un nom commun de la turpitude à défaut d'avoir su être un nom propre à tous les sens du terme. Françoise Giroud disait qu'il " ne faut pas tirer sur une ambulance ", ici les balles traçantes pleuvent sur un homme dont l'avenir ne rimera plus avec les fastes de la République malgré son indéniable compétence professionnelle en tant que ministre du Budget. C'est donc aussi la France qui a perdu un atout tout autant qu'un peu de son honneur face à certains pays hilares de nos déboires. Une chose est sûre, ce périple néfaste qu'est l'affaire Cahuzac pour notre pays donne largement raison - une fois encore - au Cardinal de Retz qui écrivait dans ses Mémoires : " Il sied plus mal à un ministre de dire des sottises que d'en faire ". Le temps aurait pu essuyer la faute fiscale et l'imprudence politique, il sera impitoyable avec ce mensonge qui a duré des mois face à nos visages perplexes ou convaincus que Médiapart montait en épingle une petite historiette.
L'historiette n'était pas négligeable et le mensonge un véritable affront à la Nation, depuis le plus humble de ses contribuables jusqu'aux membres de l'élite dirigeante de notre pays. A l'heure où un arrangement fiscal entre l'Etat et Karl Lagerfeld ( du temps de DSK alors ministre de Lionel Jospin ) avait provoqué une polémique, y-a-t-il une certitude de transparence et de rectitude sur la gestion Cahuzac des dossiers sensibles qu'il a forcément eus à connaître ?
Autre sujet. Mais vraie interrogation de principe.