Le théorème d'Helmut Schmidt invalidé par la crise.
Le lien établi par l'ancien Chancelier ouest-allemand entre les profits et les emplois via les investissements est fortement remis en cause par les enseignements de la crise et de la mondialisation.
Publié dans Les Echos fin 2015.
Formulé le 3 novembre 1974, le théorème de Schmidt est assez largement connu et a pénétré une certaine mémoire collective des entrepreneurs. De bonne foi, beaucoup pensent que « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain ».
Le lien distendu entre profits et investissements
En France, depuis plus de 20 ans le partage de la valeur ajoutée s'est déplacé en faveur des dividendes. (http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/2-80.pdf
) Autrement dit, cette politique exigeante des actionnaires fébriles quant au rendement de leurs placements a altéré la capacité des entreprises à investir.
Un certain diktat des fonds de pension et des actionnaires étrangers qui détiennent plus de 55% du capital des entreprises du CAC 40 a induit une massification des dividendes et un resserrement des investissements, de la FBCF : formation brute de capital fixe.
Nul n'a jamais réussi à démontrer économétriquement la pertinence du théorème sur la période 1974 à 2004. Depuis, nul doute qu'il ne correspond plus à la phase actuelle du capitalisme où la gouvernance des firmes est très orientée vers les " shareholders ".
A meilleure preuve, le coût croissant de la communication financière, des " road-shows " et autres initiatives de séduction actionnariale. Par exemple, les rachats d'actions qui permettent de choyer les détenteurs du capital au détriment manifeste de l'expansion de l'entreprise.
Les profits d'aujourd'hui ne sont donc plus majoritairement les investissements de demain au prorata de la taille des firmes.
Les usines sans bras d'Alfred Sauvy
Prémonitoire, Alfred Sauvy avait écrit que l'accélération du progrès technique ne manquerait pas d'entraîner l'apparition d'usines " sans bras ". Selon une récente étude du Gartner group, la numérisation substitutive et la robotisation directe risquent d'impacter plus de deux millions d'emplois d'ici à 2025. Nous avons donc moins de dix ans pour réussir ce tournant majeur. Or, ceci démontre que les investissements liés à des innovations de rupture ne génèrent pas les emplois de demain au sens où Helmut Schmidt l'entendait.
Depuis sa formule, plus que son " théorème ", le monde a changé et les investissements, en Occident, ne sont pas aussi intensifs en travail qu'en modernisation technique. La fonction de production qui unit le capital, le travail et le facteur résiduel (http://lecercle.lesechos.fr/node/132389/
) a été significativement modifiée. Elle est désormais caractérisée par des facteurs de plus en plus substituables et proportionnellement moins complémentaires. L'Europe est ainsi passée d'une fonction de type clay-clay à putty-putty. (http://www.jstor.org/stable/20076392?seq=1#page_scan_tab_contents )
La demande escomptée et l'internationalisation
L'entrepreneur ne décide pas forcément d'investir à la lumière de sa seule trésorerie. De ses profits engrangés post-fiscalité. Il est toujours attentif à l'anticipation de son carnet de commandes. En période de crise, on peut donc rencontrer des firmes qui sont dotées d'un bon niveau de trésorerie mais d'un flux limité d'investissements par compréhension d'une demande escomptée trop faible. C'est typiquement le cas de certains secteurs actuellement en France où la reconstitution des taux de marge ne propulse pas derechef un mouvement vers l'acte d'investir.
Parallèlement, il est à noter que France-Stratégie ou d'autres organismes aussi réputés sont dans l'incapacité de décompter la part du CICE ( Crédit d'impôt compétitivité emploi ) qui s'est trouvée dévolue aux IDE ( Investissements directs à l'étranger ). Il y a donc lieu de replacer la formule de Schmidt dans une sérieuse perspective territoriale. Les profits d'aujourd'hui sont en concurrence avec les dividendes d'ici et avec les investissements réalisés là-bas. L'internationalisation et les politiques d'acquisitions étrangères des grandes entreprises sont plus qu'un indice, elles sont des preuves tangibles.
La fiscalité gommée
Dans la formule de l'ancien Chancelier, le prisme de la fiscalité n'est nullement présent. Or, du fait d'un CIR ( crédit d'impôt recherche ) performant, la France cultive une certaine attractivité pour des investissements liés. A l'inverse la hausse tendancielle de notre fiscalité sur le capital comme sur les bénéfices ( IS ) ont provoqué des déplacements de sièges sociaux. Ce fût fait pour Alcatel, cela a failli aboutir pour Publicis et cela adviendra peut-être pour Renault-Nissan. Autant dire que la formule de Schmidt n'a pas intégré un élément clef du capitalisme moderne : la volatilité du capital et les déboires du facteur travail souvent réduit au rôle de variable d'ajustement.
mardi 5 janvier 2016