Le Défenseur des droits
Le Défenseur des droits : complications pour l’entreprise ?
Alors que notre pays commençait à assimiler l’existence bienvenue de la Halde ( lutte contre les discriminations ), un profond changement est intervenu avec la création du Défenseur des droits qui a des attributions bien plus larges. Cette institution sera-t-elle source de complications pour l’entreprise ? Avant d’examiner les potentielles complications que pourraient subir les entreprises, il convient de rappeler ce que représente le Défenseur des droits en tant que nouvelle institution et les interrogations techniques qu’elle suscite.
Définition du Défenseur des droits :
Le Défenseur des droits est issu de la réforme constitutionnelle de 2008 mais n’a été officiellement instauré qu’au terme du vote de la Loi organique du 29 Mars 2011.
Selon l’article 71-1 de la Constitution, « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ».
Nul n’est besoin d’être fin juriste pour comprendre l’étendue de ses prérogatives. Elles visent l’Etat, le reste du millefeuille administratif à la française mais aussi la petite société qui bénéficie d’une délégation de service public pour effectuer du ramassage scolaire ou de l’entretien de piscines municipales. Autrement dit, en ne voulant passer sous silence que peu de cas de figures, la Constitution a mis sur pied un filet de pêche de taille impressionnante par le nombre de salariés concernés.
Concrètement, le Défenseur des droits a absorbé la Halde ( Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations ), le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie de la sécurité. On notera qu’il s’agissait d’institutions reconnues et que le rôle du Médiateur n’était pas qu’une fonction de défense mais aussi une force de proposition dans bien des domaines notamment sociaux.
Interrogations techniques
Une première interrogation vient de la nomination de son Président ( pour 6 ans non renouvelable ) : initialement prévue par le Parlement, elle échoit finalement au seul Président de la République ce qui n’apporte rien de plus sinon une légitimité moins assurée d’autant que ce Président est inamovible sauf empêchement ou démission.
Une deuxième interrogation vient des différents collèges qui composent et alourdissent le Défenseur des droits. Ainsi, pour prendre le seul exemple, du collège de déontologie de la sécurité, il comprend un vice-Président, trois personnes désignées par le président du Sénat, trois par le président du Sénat, un membre du Conseil d’Etat, un membre de la Cour de Cassation. Ainsi, on peut convenir que le Défenseur des droits est utilement épaulé dans sa tâche : à l’inverse, on peut y voir une institution alourdie de manière excessive. A la française, en somme.
Troisième interrogation, il est assez surprenant de voir que le Défenseur des droits compte trois adjoints nommés là encore par l’Exécutif : à savoir par le Premier ministre, certes sur proposition du Défenseur des droits. Les pays nordiques, notamment la Suède, ont instauré une institution du type Défenseur des droits à la différence majeure que l’ombudsman est nommé par le pouvoir législatif comme dans la plupart des pays qui ont recours à ce mécanisme.
Quatrième interrogation, la France a trop fait dépendre son Défenseur des droits du pouvoir exécutif mais le législateur a été plus loin : selon l’article 2 de la loi organique de 2011, le Défenseur des droits ne peut recevoir aucune instruction de quiconque ce qui revient à donner un pouvoir considérable à un homme ou une femme durant 6 ans. Est-ce légitime ? N’aurait-il pas mieux valu imaginer une procédure éventuelle de destitution par une majorité qualifiée de parlementaires ?
Les moyens d’investigation
Après avoir – raisonnablement – relevé les biais textuels qui donnent une toute autre allure à cette institution, il convient de traiter la question de ces moyens d’investigation.
Le Défenseur des droits, actuellement Monsieur Dominique Baudis, est en capacité de demander toutes explications à toute personne physique ou morale mise en cause. ( Articles 18 et 20 de la loi organique ). Ces personnes se doivent de permettre l’accomplissement de la mission du Défenseur des droits, éventuellement assistées par un conseil. Un procès-verbal est établi et si le Défenseur l’estime approprié, il peut saisir le juge des référés.
Parallèlement, le Défenseur des droits est habilité à des vérifications sur place où il peut entendre toute personne susceptible de lui fournir des informations. Normalement, selon les termes de l’article 4 du Décret 2011-904 du 29 Juillet 2011, le Défenseur des droits doit prévenir au préalable de sa décision de procéder à un contrôle sur place.
Le temps des complications
Mais, complication certaine, l’article 22 de la loi organique ( 2011-333 du 29 Mars 2011 ) prévoit que si l’urgence, la gravité des faits ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents le justifient, alors la visite peut avoir lieu sans que l’employeur en ait été informé sur autorisation préalable du JLD : juge de la liberté et de la détention. Dans ce cas, l’employeur ne peut nullement s’opposer à cette visite.
C’est ici qu’un point de droit mérite d’être souligné. Si le JLD rend une ordonnance rendant légale la visite du Défenseur des droits, l’employeur peut – selon les termes du Décret : articles 7 et 8 ) soit saisir ce juge d’une demande de suspension ou d’arrêt de la visite, soit faire appel devant le premier Président de la Cour d’appel. Là où réside la difficulté, c’est qu’aucune de ces éventuelles saisines n’a d’effet suspensif et ne saurait empêcher la visite. Là réside un problème de libertés publiques pour les employeurs de bonne foi qui peuvent se retrouver avec une visite inopinée sur la base d’une saisine d’un salarié ou d’un concurrent peu frappés de fair-play.
En guise de conclusion
Il faut en effet conclure cette contribution par l’alinéa 2 de l’article 71-1 de la Constitution : « Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office.
Voilà donc une institution aux fondements louables et justifiés qui peut se transformer par sa saisine d’office en système de type inquisitorial où aucun recours n’est suspensif et où la saisine usuelle peut venir d’une simple personne lésée.
Tout le monde se souvient que la France a été condamnée plusieurs fois pour des délais non raisonnables en matière de tenue de procès. Si vous lisez la Constitution, le justiciable peut ici s’estimer lésé par le fonctionnement d’un service public. De même, si votre eau du robinet est excessivement chargée en nitrates, c’est bien un organisme investi d’une mission de service public qui vous l’a fournie.
Comme on le voit, le Défenseur des droits ne va pas demeurer inerte et risque de s’étoffer au fur et à mesure des saisines et auto-saisines. De rang constitutionnel, il est là pour s’inscrire dans la durée. La gratuité ( prévue par la Loi organique ) de sa saisine viendra augmenter le risque de contentieux dilatoire effectué au détriment de la bonne marche de l’entreprise.
En conservant en mémoire les prérogatives des institutions que le Défenseur des droits a remplacées, on peut songer posément à la phrase : « Et si le mieux était l’ennemi du bien ».