29/03/2013

à Jeudi 28 mars Monsieur le Président et à votre écoute !

Entre la conférence de presse du 13 novembre 2012 et l'intervention télévisée présidentielle du jeudi 28 mars 2013, les conditions économiques se sont véritablement assombries et une large partie de la France, droite et gauche confondues, doute. Comment concilier vérité, efficacité et crédibilité face à la France qui doute ?

 

1 ) Deux sujets sous silence concernant les banques :

Il serait intellectuellement facile et rapidement polémique de lister certaines promesses du candidat Hollande qui n'aboutissent que sous des formes atténuées et finalement dénuées de portée. Si l'on songe à la lutte " contre la finance ", la loi bancaire dite Moscovici est un texte-croupion pour reprendre un terme qu'affectionne l'ancien sénateur Michel Charasse. Vivement la Directive Liikanen dont on doit espérer qu'elle réalisera une vraie séparation juridique et factuelle des activités de dépôts au regard des activités spéculatives. Par ailleurs, sur ce site, nous avons émis plusieurs articles montrant que la supervision bancaire a minima est plus qu'une erreur mais une faute. Oui, nous préférons que le plus d'établissements possibles soient suivis par la BCE ( Banque centrale européenne ) que par des régulateurs nationaux dont l'exemple de Chypre – et bientôt celui de Madrid ? – montre la mansuétude périlleuse et contestable.

Sur ces deux sujets, il y a fort à parier que le Président ne sera pas interrogé alors qu'ils sont une clef de sortie de crise et un pare-feu requis face au risque systémique toujours présent. Aux doutes des analystes de la sphère économique risque de répondre le silence du Chef de l'Etat.

2 ) Deux sujets sans solution d'évidence : pouvoir d'achat et chômage.

La pression fiscale accrue venue du PLF 2013 ( projet de loi de finances ), le quasi-gel des salaires, le développement du chômage partiel, la suppression du dispositif des heures supplémentaires ont entraîné une baisse du pouvoir d'achat. Tout le monde le constate déjà et les études économétriques et statistiques des mois à venir viendront hélas le confirmer. Comme le dit parfois – désormais en privé – Laurent Fabius : " Les gens ne s'en sortent pas. Pour certains, la fin du mois commence le 15 ". Ce fait économique déjà reflété par le tassement confirmé de la demande est un vrai défi pour le Président Hollande. D'abord vis-à-vis de son électorat mais aussi au regard de la paix sociale dont il est le garant suprême.

Or, sur ce terrain, la France n'est pas encore au point du cycle économique où se trouvent les Etats-Unis qui envisagent des relances sélectives par les salaires. Rappelons à ceux qui ont immédiatement de l'urticaire à l'idée d'une hausse raisonnable des salaires que ce poste ne représente, en moyenne, que 26% ( charges comprises ) contre plus de 60% pour les achats et charges externes. Pour 100 €uros de C.A, une hausse de 5% des salaires est équivalent à un montant de 1,3% du C.A soit moins de 2% du poste achats.

A voir les méandres des filières ( exemple des traders sur viande de cheval, etc ), à voir l'importance croissante de certaines dépenses logistiques, notre appareil productif a très sincèrement un effort de rationalisation à fournir qui " donnerait du grain à moudre " ( André Bergeron ) au dialogue social salarial. Cet effort était déjà pointé dans le rapport de 1987 ( ndlr : 1987 ) de l'ancien président de L'Oréal François Dalle et Jean Bounine : " Pour développer l'emploi ".

Dans ce texte pragmatique et visionnaire, on peut trouver des pistes de solution pour l'apprentissage ( pourtant récemment remis en cause par la modification d'âge ) pour la formation des jeunes sans diplômés et pour le chômage structurel qui vient de notre marché du travail où l'offre et la demande ont beaucoup de mal à s'ajuster.

Sans demande soutenue et sans flux sérieux d'investissements ( faiblesse des trésoreries, découragement de certains entrepreneurs qui accentuent les délocalisations expatriations ), la France n'ayant pas le moteur de l'exportation, elle se trouve dans une situation durablement douloureuse en termes de sous-emploi. A l'heure où il faut une parole politique claire et crédible, n'est-il pas téméraire voire digne du théâtre de Pirandello ( comique de répétition ) que de répéter cette chimère de l'inversion de la courbe du chômage à la fin de 2013 ? Nombre d'analystes savent qu'elle n'arrivera – au mieux – qu'à l'été 2014 sauf à bricoler tel ou tel indicateur.

Le chômage de ce début de siècle fait bien davantage peur que celui d'il y a vingt ou trente ans. La durée de présence au chômage a tendanciellement augmenté comme le montrent sans faille toutes les études de Pôle emploi. La reprise d'activité s'accompagne souvent d'acceptation de salaires moindres ou de conditions plus pénibles ( mobilité, horaires décalés, etc ). Par ailleurs, comme l'ont établi plusieurs études de la Coface, la taille des entreprises concernées de plein fouet par des défaillances augmentent ainsi que leur âge : autrement dit, c'est l'ossature productive que la crise atteint et non les seules firmes plus ou moins bien gérées.

Au demeurant, il serait inexact de passer sous silence le poids de l'expatriation des entrepreneurs. Selon un chiffrage récent de la Fondation Concorde, un million d'emplois serait le chiffre du manque à gagner depuis 1997 issu du départ des créateurs d'entreprises. Même si ce chiffrage peut être contesté en dizaines de milliers, il ne peut pas l'être en centaines de milliers ce qui montre l'ampleur de la question.

De tout cela il ressort une peur du déclassement social qui est considérable et qui nous semble être le premier défi du Chef de l'Etat. Défi d'autant plus ingrat que sa marge de manœuvre est limitée. Toutefois, si l'on songe à son inflexion de novembre dernier et son pas vers une politique de l'offre ( suite au rapport Gallois ), on ne peut que rester pantois devant la différence entre la promesse présidentielle ( " pas de formalisme pour le crédit d'impôt compétitivité " ) et la réalité des dossiers du Cice : crédit d'impôt compétitivité emploi.

Décidément en France, rien n'est simple et nous n'avons qu'une supplique respectueuse et étayée à adresser au Président de la République :  la longanimité de vos électeurs et des autres citoyennes et citoyens est à bout.

Nul ne comprend certaines postures ministérielles, nul n'a le sentiment d'une action coordonnée. Certains font leur la phrase de Baudelaire : " Si vous avez du guignon, c'est qu'il vous manque quelque chose ".

Et si les équipes de Monsieur Sapin relisaient de front les rapports Gallois et Dalle – Bounine ?

3 ) Deux sujets sociétaux distincts : mariage et insécurité

Par-delà ses inclinaisons idéologiques contestables sur certains sujets, l'éminent linguiste Georges Dumézil a établi que le récit est souvent en miroir avec une vision de la société définie selon trois fonctions : la fonction du sacré et de la souveraineté, la fonction guerrière et la fonction de production et de reproduction.

S'agissant du mariage pour tous qui s'inscrit dans un tendance pluri-décennal de la civilisation européenne voire occidentale, le Président aura certainement à expliquer des histoires de comptage du nombre de manifestants, des questions de recours aux gaz lacrymogènes, etc. A l'échelle de notre échéancier économique, ce seront de longues minutes perdues tant il est patent que cet engagement présidentiel sera tenu même s'il doit entraîner un fort risque de marchandisation du corps de certaines femmes via la redoutable gestation pour autrui ( Gpa ).

En tacticien politique, François Hollande pourra savourer ce sablier politicien loin des véritables contraintes de chacun. Le récit portera habilement sur la fonction de reproduction là où d'autres – nombreux – y mettent une fonction du sacré.

Ce qui est sacré, c'est aussi la simple liberté d'aller et de venir. Or dans bien des lieux, elle est de plus en plus aléatoirement défendue malgré les moyens mis en place par Messieurs Guéant puis Valls. Cette fonction de souveraineté ( " L'Etat a le monopole de la violence légitime " Max Weber ) est un défi sérieux et consistant pour ce gouvernement. Nous verrons ce que le Président annonce sur ce terrain : une chose est sûre, il est attendu et a intérêt à être entendu avant que certains citoyens ne développent le spectre des milices privées et des comités de quartiers.  ( voir lutte des riverains à Marseille contre un campement de Roms ).

Sur ces deux sujets ( mariage et insécurité ), le Président est face à un Y ( ndlr : i grec ). D'un côté, par le chemin de gauche il a tous pouvoirs pour faire aboutir le mariage pour tous. De l'autre, par un chemin plus à droite – à tous les sens du terme – il a un pouvoir relatif tant la violence s'est accrue en fréquence et en intensité : le constat ne peut plus être réfuté.

4 ) Deux sujets militaires :  Mali et " Le Richelieu "

Toujours selon la trilogie de Dumézil, il y a les questions relatives à la fonction guerrière.

Autrement dit, que faire de ce conflit du Mali qui est un succès militaire mais demeure un imbroglio politique local. Une fois l'essentiel de nos troupes parties, qu'adviendra-t-il ? De surcroît, que signifie ce grand chambardement diplomatique et militaire ( changements d'ambassadeurs, etc ) dans la région. Nul ne demande de justification au chef des Armées. Un grand nombre souhaite vivement des explications même brèves.

Des explications sont aussi fébrilement attendues pour ce qui concerne une éventuelle diminution sévère des budgets militaires. Le Président Hollande doit là aussi expliquer ou faire cesser les rumeurs. L'une d'entre elles concerne l'éventuelle vente du porte-avions nucléaire Le Charles de Gaulle c'est à dire du Richelieu puisque tel fût son nom de baptême en 1986 retenu par le Président François Mitterrand. Or chacun sait, en marine, qu'un changement de nom n'est guère salutaire sauf à avoir fait coupé le sillage du navire sept fois par un autre.

Plus sérieusement, gardons en mémoire l'utilité d'un porte-avions ( usage du Clémenceau par le Président Mitterrand ) y compris au large de la Libye ( sur ordre du Président Sarkozy ). Serait-il concevable que la France ne dispose plus d'un tel atout en matière de projection de forces ?  Sur ce sujet, point de procrastination, c'est oui ou non et c'est compréhensible par tous.

5 ) Deux sujets sociétaux : l'éducation et la formation professionnelle

Le candidat Hollande avait été clair sur l'engagement phare de sa campagne concernant l'éducation. A l'heure de la réforme des rythmes scolaires ( 2013 ou 2014 ce qui ne simplifie pas la vie quotidienne de milliers de personnes ) et d'autres projets, quel bilan le Président envisage-t-il d'établir de l'action publique récente ?

De même, où en-t-on de cette importance promesse de réorienter les fonds de la formation professionnelle davantage vers les chômeurs qu'à l'heure actuelle ?

Le rapport Larcher avait établi un constat, il semble que Monsieur Sapin le partage : alors ?  Quand l'Etat va-t-il conduire les partenaires sociaux à embrayer sur ce sujet capital ?

6 ) Un sujet-clef : peut-on réussir une politique dans un pays qui doute ?

Jamais le doute n'a été aussi grand dans notre pays.

L'épouse du gendarme ou du convoyeur de fonds ou du bijoutier craint pour la vie de son mari. Le jeune craint d'obtenir de haute lutte un diplôme finalement inadapté. Le stagiaire aimerait bénéficier d'une amorce de rémunération convenable. Le jeune senior de 50 ans aimerait garder son poste. Les anciens aimeraient pouvoir être respectés dans la rue, dans certains commerces et dans certains dialogues avec les Administrations.

Ce doute quasi-existentiel se double d'une sorte de peur de l'avenir et d'une conviction : l'avenir sera moins bien. Sans remonter à Germinal ou aux privations de l'immédiat après-guerre, chaque période historique a toujours dû traverser des contraintes : l'éminent Fernand Braudel l'a démontré à longueur de pages.

Pour l'instant, il y a doute sur la gouvernance dans certaines entreprises et doute sur la notion de " cap " de la politique du Président de la République. Il y a donc interpellation des élites et on peut ici ou là retrouver certaines des critiques de Julien Benda ( "La trahison des clercs ) qui stigmatisait une élite " flétrissant toute activité libre et désintéressée ".

Dans une Europe qui aura engagé plus de 250 milliards pour les plans de sauvetage de la Grèce, il a été mis à l'ordre du jour la baisse de l'aide aux plus démunis. Alors que l'idée européenne est hélas en retrait ( malgré le travail intense d'associations comme " Sauvons l'Europe " co-fondée par l'avocat Jean-Pierre Mignard ), comment voulez-vous que le citoyen lambda n'ait pas de doute ?

Jeudi soir, un homme abouti qui porte la plus haute charge de notre pays devra, par le verbe et l'action, lutter contre ce doute qui rouille inexorablement les structures porteuses de notre pays mais aussi une fraction sonore et une partie silencieuse de sa majorité.

Face à des tenailles sociétales aussi prégnantes, formons le vœu que le Président n'ait pas en tête la phrase d'André Gide : " Je puis douter de la réalité de tout, mais pas de la réalité de mon doute ". ( in " Les Faux-Monneyeurs " ).

 

 

 

 

 

 

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